POEME D'AMOUR DESESPERE
Tous, tous les soirs, avec leurs phases
cérémonieuses et hallucinantes,
avec leurs règnes de nuages ingénieux,
sont loin de ta présence, mensongers
et présomptueux et atroces.
Je les ai vus avec peine, mais attentivement,
comme l'on voit sur les toiles entassées
et mal peintes des galeries,
les guirlandes, les fruits et le plateau
aux fleurs de nacre.
Je les ai vus dans la paix circulaire des parcs
où les arbres scrupuleux
hissent leurs feuillages aventureux,
dissimulant dans les murs des maisons
des balcons ténébreux.
En vain les ai-je vus et trop
à travers le cristal empourpré
des fenêtres, ou dans un jardin
à l'abandon, oublié entre les grilles
comme un enfant perdu ;
sous les platanes dorés,
je les ai vus aspirer dans l'arôme pur
du feuillage cette insolite amertume
que doivent ressentir les expatriés
avec la même détresse.
Lorsque les vents dressent leurs murailles
nocturnes sur l'eau bleue de la mer,
je les ai vus en vain illuminer
de leurs longues splendeurs l'arène
sublunaire des plages ;
je les ai vus dans l'écume aérienne,
sur les falaises où ils veillent,
dans les pierres, oiseaux dont le vol
révèle la mer, l'air et le ciel
faits de plumes frissonnantes.
Alors que je me demandais où tu errais
en contemplant les mêmes éblouissantes
et suppliantes vertus du soir,
des lointains défendus m'offraient
leurs diamants rutilants.
Je les ai vus dans les ciels impérissables d'or
où les nuages pendaient comme des franges
pourpres entre les rochers ou dans les creux,
où naît en reflets mémorables
la voix soeur de l'écho.
Les Cupidons, les lions, les sirènes,
de leurs hauts frontispices roses,
donnèrent à mes peines des contours de rêves
dans les moulures des édifices
que je crus entrevoir.
Je pourrais un par un dessiner
leurs volutes de fumée alambiquées,
en longs faubourgs éclairés
par la lueur naissante de la lune,
entrelacés aux ramages.
Comme dans les livres les plus envoûtants
de l'enfance, où tous les objets
gardent dans les estampes des secrets
que l'amour thésaurise -- avec les couleurs
de certains alphabets --,
gravés par ton absence dans ma mémoire,
il y a le sphinx, le kiosque vert, le pont,
le terrain vague en pente,
la rose, n'importe quelle rose invocatoire
et la statue obéissante.
Dans les sentiers gris de l'hiver,
il y a les plantes du jardin botanique
où chante une grive douce et tyrannique
qui pourrait aggraver tous les enfers
de sa rengaine régulière.
Dans les larges marges du fleuve
aux suaves et pathétiques brumes,
il y a les glycines encadrées d'or,
par la désolation des ultimes
maisons aux coins des rues ;
il y a dans le bocage la fleur cachée
-- dont je n'ai jamais appris le nom --
cette fleur troublée par le silence
qui sature l'air de fraîcheur.
Ô soirs inoubliables !
Soirs, lorsque les rues familières,
chargées de vanités et de drapeaux,
souillent de suie les placides palmiers
et le ciel qui se regarde dans les patios
cloîtrés avec les figuiers.
Soirs, où la musique est palpable
comme un joyau brillant entre les mains
ou un jasmin ou le clavier des pianos
ou l'eau lorsque le soleil des étés
dessine un sabre de lumière.
Soirs, où mon coeur obscur
éprouvait mes tristesses si étrangères
et se glaçait de détresse dans mes veines
assistant à l'impur et lointain
spectacle de mes peines.
Combien de bonheur m'ont-ils promis,
combien de miracles alors que j'attendais
à tes côtés qu'ils reviennent,
non stériles mais fastueux, comme ils l'étaient
dans mon amour conjuré.
POEMA DE AMOR DESESPERADO
Todas, todas las tardes con sus fases,
alucinantes y ceremoniosas,
con sus reinos de nubes ingeniosas
lejos de tu presencia son falaces
y fatuas y espantosas.
Las vi con pena, pero atentamente,
como en las galerias, mal pintadas,
se ven sobre las telas arrumbadas,
las guinaldas, las frutas y la fuente
con flores nacaradas.
Las vi en la circular paz de las plazas
donde los arboles escrupulosos
elevan sus follajes venturosos
ocultando en los muros de las casas
balcones tenebrosos.
En vano las he visto y demasiado
a través del cristal enrojecido
de las ventanas, o en un desvalido
jardin entre las rejas olvidado
como un niño perdido ;
debajo de los platanos dorados
las vi aspirando en la fragancia pura
del follaje esa insolita amargura
que solo han de sentir los desterrados
con igual desventura.
Cuando elevan los vientos sus murallas
nocturnas en el agua azul del mar,
yo las he visto en vano iluminar
con esplendores largos, en las playas,
la arena sublunar ;
las vi en la levedad de las espumas,
en los acantilados donde velan,
en las piedras, palomas que revelan
el mar, el aire, el cielo, hechos de plumas,
trémulas, cuando vuelan.
Mientras pensaba en donde vagarias
contemplando las mismas deslumbrantes
virtudes de la tarde, suplicantes,
rutilaban vedadas lejanias
para mi en sus diamantes.
Las vi en los cielos de oro perdurables
con nubes que pendian como flecos
purpureos entre rocas o en los huecos
donde nace en reflejos memorables
la hermana voz del eco.
En sus rosados y altos frontispicios
los Cupidos, los leones, las sirenas
dieron formas de sueños a mis penas
en las molduras de los edificios
que crei ver apenas.
Podria dibujarlas una a una
con sus volutas de humo alambicadas,
en largos arrabales alumbradas
por el fuego naciente de la luna,
con ramas abrazadas.
Como en los libros mas arrobadores
de la infancia, en que todos los objetos
conservan en las laminas secretos
que atesora el amor -- con los colores
de algunos alfabetos --,
grabados por tu ausencia en mi memoria
estan la esfinge, el quiosco verde, el puente,
el terreno baldio en la pendiente,
la rosa, cualquier rosa invocatoria,
y la estatua obsecuente.
En los senderos grises del invierno
estan las plantas del jardin botanico
donde canta un zorzal dulce y tiranico
que podria agravar cualquier infierno
con su canto mecanico.
Estan en las anchas margenes del rio
con suaves y patéticas neblinas,
como en un marco de oro las glicinas,
en la desolacion del caserio
final de las esquinas ;
en el boscaje, oculta esta la flor --
cuyo nombre jamas he conocidos --
esa flor que el silencio ha conmovido
y que satura el aire de frescor.
Oh tardes que no olvido !
Tardes en que las calles habituales
llenas de vanidad y de banderas
tiznan de hollin las placidas palmeras
y el cielo que se mira en los claustrales
patios con sus higueras.
Tardes en que la musica es palpable
como una joya de oro entre las manos,
o un jazmin o el teclado de los pianos
o el agua donde el sol dibuja un sable
de luz en los veranos.
Tardes en que mi oscuro corazon,
al sentir mis tristezas tan ajenas,
se helaba de congoja entre mis venas
viendo la impura representacion
lejana de mis penas.
Cuanta felicidad me prometieron,
cuantos milagros mientras he esperado
que retornen estando yo a tu lado,
no vanas mas hermosas como fueron
en mi amor conjurado.
Silvina Ocampo
"Poèmes d'amour désespéré"
Edition bilingue
Préface et traduction de Silvia Baron Supervielle
Collection Ibériques
José Corti
Janvier 1997
Poème d'amour désespéré - pages 12 à 21