Antonia Pozzi
La Vie rêvée
Journal de poésie 1929-1933
Traduit de l'italien
et présenté par Thierry Gillyboeuf
Éditions Arfuyen
2016
-Recueil bilingue-
-314 pages-
Deux extraits de la préface de Thierry Gillyboeuf :
La hâte de vivre
(...)
Toute la poésie d'Antonia Pozzi oscille, comme sa vie, entre espoir et désillusion, entre noirceur et lumière, entre abandon et extase, entre ascèse et sensualité. « Il y avait en moi un dualisme terrifiant, hérité du christiannisme primitif, entre l'âme et le corps. Ma pauvre et malheureuse expérience n'a fait que l'exacerber. D'une part, j'étais trop faible et inconsciemment désireuse d'une vie complète pour renoncer définitivement à l'un ou l'autre aspect de moi, et j'ai continué ainsi, à tâtons, prompte à hurler d'horreur au moindre choc avec la réalité. », écrit-elle à Vittorio Sereni le 16 août 1935. (…)
Son écriture, sorte de poésie diariste échelonnée sur près de dix années ( elle recopie ses poèmes dans des cahiers d'écolier, en prenant soin de noter la date et le lieu de composition), porte les stigmates de cet écartèlement ontologique auquel elle s'oppose ou bien se soumet. Antonia Pozzi trouve son double dans le héros de Thomas Mann, Tonio Kröger, auquel elle s'identifie au point de signer parfois Tonia Kröger. Comme lui, elle est hantée par cette antinomie impossible à résoudre, ce dissidio entre création et vie « normale », que José Ortega y Gasset appelle crise et définit comme suit : « Il y a crise quand l'univers intellectuel n'est plus au niveau de la vie, quand les paroles perdent toute signification pour le comportement et que l'action est totalement indifférente au réconfort d'une discipline intellectuelle. » (…)
Pages 9-10
La Vita sognata
*
La Vie rêvée
UN'ALTRA SOSTA
a L. B.
Appoggiami la testa sulla spalla:
ch'io ti carezzi con un gesto lento,
come se la mia mano accompagnasse
una lunga, invisibile gugliata.
Non sul tuo capo solo: su ogni fronte
che dolga di tormento e di stanchezza
scendono queste mie carezze cieche,
como foglie ingiallite d'autonno
in una pozza che riflette il cielo
Milano, 23 aprile 1929
UN AUTRE RÉPIT
à L. B.
Appuie ta tête sur mon épaule:
que je te caresse d'un geste lent,
comme si ma main accompagnait
une longue aiguillée invisible.
Pas uniquement sur ta tête : sur chaque visage
se plaignant d'être tourmenté et fatigué
descendent mes caresses aveugles,
comme des feuilles d'automne jaunies
dans une mare qui reflète le ciel.
Milan, 23 avril 1929
P.43-45
***
PRESAGIO
Esita l'ultima luce
fra le dita congiunte dei pioppi –
l'ombra trema di freddo e d'attesa
dietro di noi
e lenta muove intorno le braccia
per farci più soli –
Cade l'ultima luce
sulle chiome dei tigli –
in cielo le dita dei pioppi
s'inanellano di stelle –
Qualcosa dal cielo discende
verso l'ombra che trema –
qualcosa passa
nella tenebra nostra
come un biancore –
forse qualcosa che ancora
non è –
forse qualcuno che sarà
domani –
forse una creatura
del nostro pianto –
Milano, 15 novembre 1930
PRÉSAGE
L'ultime lueur hésite
entre les doigts joints des peupliers –
l'ombre tremble de froid et d'attente
derrière nous
et serre lentement les bras tout autour
pour nous rendre plus seuls –
Tombe l'ultime lueur
sur la chevelure des tilleuls –
dans le ciel les étoiles font des bagues
aux doigts des peupliers –
Quelque chose descend du ciel
vers l'ombre qui tremble –
quelque chose traverse
nos ténèbres
comme une blancheur –
peut-être quelque chose qui n'est
pas encore –
peut-être quelqu'un qui sera
demain –
peut-être une créature
de nos pleurs –
Milan, 15 novembre 1930
P.110-113
***
NOSTALGIA
C'è una finestra in mezzo alle nubi:
potresti affondare
nei cumuli rosa le braccia
e affacciarti
di là
nell'oro.
Chi non ti lascia?
Perché?
Di là c'è tua madre
– lo sai –
tua madre col volto proteso
che aspetta il tuo volto.
Kingston, 25 agosto 1931
NOSTALGIE
Il y a une fenêtre au milieu des nuages:
tu pourrais plonger
les bras dans les cumulus rouges
et te montrer
de l'autre côté
dans l'or.
Qui t'en empêche?
Pourquoi?
De l'autre côté il y a ta mère
– tu le sais –
ta mère au visage tendu
qui attend ton visage.
Kingston, 25 août 1931
P.158-161
***
SERA
Se a volte mi sembra
che questo moi resto di vita
si aggeli
per l'improvvisa solitudine
che coglie il viandante
quando alle valli protese
come mani mendiche
offrono i monti dal cielo
un'elemosina d'ombra –
quando l'unica strada
dei villaggi
è deserta
e qualche donna encora
chiama forte
nel buio
e poi più non s'ode
altro che un chiudersi lento
di porte
sulla neve –
o accendi tu
la tua lampada
e fammi cenni di entrare –
che io non muoia
qui
senza fuoco!
3 febbraio 1933
SOIR
S'il me semble parfois
que ce qui me reste de vie
se glace
à cause de cette solitude
qui soudain frappe le voyageur
et qu'aux vallées tendues
comme des mains qui mendient
les monts offrent du haut du ciel
une aumône d'ombre –
quand l'unique rue
des villages
est déserte
et qu'une femme encore
lance un appel
dans l'obscurité
et puis qu'on entend plus rien
d'autre qu'une porte qui se referme
lentement
sur la neige –
ou que tu allumes
ta lampe
et me fais signe d'entrer –
pour que je ne meure pas
ici
sans feu!
3 février 1933
P.204-207
Antonia Pozzi à l'Université de Milan, source : www.tropismi.it/poesia-che-rimani-una-lettura-di-antonia-pozzi
Antonia Pozzi, La Vie rêvée par Angèle Paoli
Antonia Pozzi, La Vie rêvée, Journal de poésie 1929-1933, éditions Arfuyen, Collection Neige, volume 32, 2016. Traduit de l'italien par Thierry Gillybœuf. Lecture d'Angèle Paoli Ph., G.AdC UN...
http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2016/03/antonia-pozzi-la-vie-r%C3%AAv%C3%A9e.html
Une note de lecture sur ce recueil, par Angèle Paoli
Une communication sur "Une biographie intellectuelle" par Hélène Leroy
Deux poèmes, traduits par Silvia Guzzi, sur son blog