C'EST LÀ QUE J ‘AI AIMÉ
Étrange
et inconnu
Ton chant
Par la fenêtre de tes yeux
C'est là que j'ai aimé
Peut-être dans tes paroles
Peut-être dans ton corps
sous la peau de tes paroles
qui ont pris corps
dans l'évadée des robes imaginaires
Sottopelle orange enneigées de feux
Voyages de ville en ville nos étreintes
et d'accalmies repliées sur les âmes éteintes
Sans que tu ne m'y autorises
c'est là que j'ai aimé
Que l'amour m'a
omise
À moins que ce ne soit le temps
Le temps parfois clôt les corolles
des fleurs méditatives
C'est là que j'ai aimé
Dans la paroisse de tes yeux
Assise sur le parvis d'un pleur
Je n'osais y entrer
Je n'y crois que si peu
Y crois-tu toi non plus?
À moins que ce ne soient les dieux
qui n’aient cru bon
d'emplir mon calice
d’une foi ferme et lisse
C'est là que j'ai aimé
Dans le poème
Ce seul enfant que nous pourrions avoir
Martine Cros Poésie
"Et je me souviens que là, là, très loin, un ciel immense et l’océan saluaient mon réveil. J’ai vu bien de belles choses dans ma vie. J’ai vu Venise dans la splendeur d’une nuit de printemps, saturée de lune jusqu’aux derniers replis de ses ruelles tortueuses, avec l’eau mystique de ses canaux, son ciel bleu, ses noires gondoles et ses feux et ses chants. J’ai vu l’Elbrouz (5630 m) à la première aube, tout blanc sur un ciel fantastique que traversait la longue queue d’un météore orange. J’ai vu le Kathec (5050 m dans la chaîne du Caucase) déchirer de sa cime les orages et apparaître immaculé dans la splendeur de ses neiges éclairées de lune. J’ai vu, dans la solitude de Guernesey, hurler l’océan sous l’œil rouge d’un phare, et j’ai vu la Mer Noire chatoyer au soleil, alors que les amandiers en fleurs mettaient sur le ciel leurs fines dentelles. J’ai vu le Brenner assoupi dans la neige et les riantes vallées de Géorgie s’étendre à mes pieds comme un tapis de verdure et de fleurs. J’ai vu à Amsterdam la glorieuse rentrée d’un transatlantique dans la joie d’une rade éclairée de mille feux. J’ai vu aussi la beauté infinie de nos campagnes russes où une âme semble vivre partout, charmant de sa voix. Et de toutes les beautés que j’ai vues, toutes senties et comprises, la plage modeste de Carteret m’est la plus chère, la plus suggestive : c’est là que j’ai aimé. »
Marianne von Werefkin, « Lettres à un inconnu », Editions Klincksieck, 2005.