Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

aller aux essentiels

aller aux essentiels

L'atelier Poésie de Martine Cros


Notes de nuit : L'œil égaré dans les plis de l'obéissance au vent

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 24 Mars 2019, 00:01am

Catégories : #Carnet de notes, #André du Bouchet, #Victor Hugo

Victor Hugo, "Océan vers et prose. Tas de pierres" © Bibliothèque nationale de France

Victor Hugo, "Océan vers et prose. Tas de pierres" © Bibliothèque nationale de France

 

 

 

 

 

 

Une lecture

d'André Du Bouchet,

à partir de fragments

poétiques inachevés

de Victor Hugo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

 

 

 

La mort est bleue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5

 

 

 

 

La terre disparaît, le sépulcre, chauve-souris de pierre, ouvre ses ailes d'ombre dans le crépuscule de la résurrection et bat de son vol la vitre flamboyante des astres ; l'oiseau sinistre va de planète en planète, et son cri de nuit, chaque fois qu'il touche le bord d'une constellation, devient un chant de lumière ; il sort du soir et il apporte l'aurore ; il s'envole d'un enfer et il annonce un paradis ; il part hibou et il arrive alouette ; il s'échappe du vieux tronc d'arbre humain et il se pose à l'extrémité de chaque branche à l'endroit où le fruit devient l'étoile ; il sort du creux des crânes et il saute de paradis en paradis, et il niche de joie en joie, et il couve l'un après l'autre tous les globes et il fait éclore dans le ciel tous ces œufs d'archanges. Ô vivant, voici ce que je te conseille : l'œuvre de ton âme doit être le voyage de ton âme ; tu ne dois pas prophétiser, tu dois deviner ; tu dois deviner le ciel étoilé, y tracer ton itinéraire, y désigner du doigt tes auberges, y fixer les relais d'amour de ta pensée et, voyageur invisible, marquer d'avance tes étapes inconnues sur la grande route faite de précipices qui conduit à l'hôtellerie farouche de l'incompréhensible. Châtelain de l'immensité, tu dois dire quelles sont les planètes qui t'attendent et parler de leur civilisation, de leur lumière et de leur ombre, de leurs épines et de leurs fleurs, de leur place dans l'horreur ou de leur marche dans la joie, de leurs cris ou de leurs hymnes, et, du fond de ton tombeau, le monde doit t'entendre dire : il y a dans l'infini un astre qui s'appelle Saturne et qui souffre ; il y a dans l'infini un astre qui s'appelle Mercure et qui souffre ; il y a dans l'infini un astre qui s'appelle Mars et qui souffre. Ô mon Dieu, que d'étoiles qui sont punies ! que de constellations qui sont crucifiées ! Seigneur, votre ciel est couvert de plaies, vos astres sont des gouttes de sang, vos soleils prennent la gangrène, vos lunes ont l'horrible peste du châtiment, vos constellations qui s'agenouillent depuis des millions d'années ont fini par se briser le crâne et le poing contre les ténèbres et ne sont plus que des moignons d'enfer, vos créations ne sont plus que des lambeaux de chair, vos auréoles ne sont plus que des haillons de rayons, votre firmament est l'immense égout où roulent tous ces cadavres et vos splendides chevaux ferrés de lumière, fous de rage et prenant le mors aux dents, écartèlent l'immensité.

 

 

 

 

 

 

 

 

Victor Hugo, L'œil égaré dans les plis de l'obéissance au vent, in André du Bouchet, L'œil égaré dans les plis de l'obéissance au vent, par Victor Hugo, suivi de L'infini et l'inachevé, Seghers, 2001 - extraits page 13 et pages 19-21.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

Le fragment touche chez lui à quelque chose d'essentiel. Il semble que cette hantise de l'infini, de l'ininterrompu, qui marque si fortement son œuvre, doive toujours aboutir, par une dialectique étrange, à précipiter une sorte d'interruption perpétuelle. Le désir immense de l'éternel, du continu, ne peut se satisfaire qu'en englobant son contraire. Il devient immense solution de continuité. Cette brusque mutation passe souvent inaperçue à la lecture : elle est pourtant à la source d'un certain sentiment vertigineux inhérent à l'œuvre de Hugo en général. L'infini, devenant l'inachevé, se disloque brusquement en éclats.

 

[…]

 

« La pensée, c'est l'illimité. Exprimer l'illimité, cela ne se peut. Devant cette énormité immanente, les langues bégaient. » Bégaiement immanent chez Hugo. On sera toujours stupéfait de la facilité verbale inouïe dont dispose ce poète pour qui le propre de l'essentiel est de ne pouvoir s'exprimer, et dont le propre du talent est toujours de masquer l'essentiel : la « création bègue », « l'énigme qui a peur du mot », cette grande nature qui n'affleure que par lambeaux :

 

 

 

 

Comme un muet qui sait le mot d'un grand secret

Et dont la lèvre écume à ce mot qu'il déchire,

Il semble par moments qu'elle voudrait tout dire...

 

 

[...]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

André du Bouchet, L'infini et l'inachevé, in André du Bouchet, L'œil égaré dans les plis de l'obéissance au vent, par Victor Hugo, suivi de L'infini et l'inachevé, Seghers, 2001, - extraits pages 71-74.

 

 

 

 

« L'infini et l'inachevé a été publié en novembre 1951 dans le n° 54 de la revue Critique. Il se référait à deux publications : Océan, poèmes inédits de Victor Hugo, édité par Ollen Borff chez Albin Michel en 1942 et Pierres, vers et prose, édité par Henri Guillemin aux Éditions du Milieu du Monde en 1951. »

 

 

 

 

Notes de nuit : L'œil égaré dans les plis de l'obéissance au vent
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents