LA FIANCÉE DU FOSSOYEUR
(Journal)
25 AOÛT 2013. Madrid.
« Je n'ai pas de maison, seulement de l'ombre. Mais, quand vous aurez jamais besoin d'ombre, mon ombre est la vôtre. »
Au-dessous du volcan. Malcolm Lowry.
La mansarde aux singes dessinés. Paris.
Novembre 2013. Paris.
[…]
Le moindre conflit me donne la nausée. Ce doit être une séquelle. L'affrontement me ramène à la division originelle de mes extrémités dans le sein maternel. Je ne le supporte pas. Je préfère sourire jusqu'à ce que le rire me déchire le visage, jusqu'à en être défigurée. Je préfère regarder les singes en train d'aimer les fleurs. Et te le dire, à toi, qui n'existes pas. Qui Emily aimait-elle ? Peu importe. Il fallait écrire pour quelqu'un. Moi, je peux seulement écrire si j'écris pour quelqu'un, si j'écris pour aimer quelqu'un. « L'acte le plus sublime, c'est de placer un autre avant soi », dit le vieux Blake. J'ai besoin d'un interlocuteur sentimental, ne serait-ce qu'imaginaire, car ma vie intérieure est totalement déconnectée de ma vie extérieure. [...]
Angélica Liddell, extraits de JOURNAL - LA FIANCÉE DU FOSSOYEUR, in Écrits, 2003-2014, textes traduits de l'espagnol par Christilla Vasserot, éditions Les Solitaires Intempestifs, janvier 2019, pages 456-467.
PSAUMES
(Chants d'amour en Émilie-Romagne)
PSAUME I
Je suis le corps de ton ombre
Mais au-dessus de moi il y a une brèche par où désormais
je vois les étoiles
Modène, 13 octobre 2014
PSAUME III
Tu es hors de portée de mes forces humaines
Malgré tout, ce que je n'atteins pas, le brouillard l'atteint
De l'arbre que je vois à l'arbre que tu vois c'est la même
foule qui tourne en rond
Les flammes de mon premier coeur embrasent mon deu-
xième coeur
Mais au-dessus de moi il y a une brèche par où désormais
je vois les étoiles
Modène, 14 octobre 2014
PSAUME VII
Je quitte mon rêve au petit matin
Convaincue que c'est toi qui fais grandir le vert de la terre
Si à cet instant je lève une main pour toucher les désirs
sur mon front
Je peux caresser le relief de ton visage entre mes deux
sourcils
Au matin aussi tournent les étoiles
Modène, 16 octobre 2014
PSAUME X
Il me reste encore deux jours de route
Avant d'atteindre le Paradis et de quitter ce territoire
Je dois aller sur le tombeau de Dante et là où le Baptiseur
est roi
De la mort à la vie
Et même si le disque de ma gloire baigne dans un lait de
noirceur
Et si ma tristesse peut abattre tous les arbres d'une forêt
Mon désir et ma volonté sont mus, comme une roue,
Par le même amour qui meut le soleil et les étoiles
Modène, 18 octobre 2014
PSAUME XI
Fin de l'avant-dernière journée
C'est toi, Ésaïe, qui m'as conduite à travers les vignes
Aussi hautes que deux hommes, doux témoins de mon
supplice
Et en parvenant à la zone du silence
Là où les ossements amoureux ignorent le repos
J'ai pleuré en voyant que le nom de Dante était orné
d'étoiles
Ravenne, 18 octobre 2014
Angélica Liddell, extraits de PSAUMES, in Écrits, 2003-2014, textes traduits de l'espagnol par Christilla Vasserot, éditions Les Solitaires Intempestifs, janvier 2019, pages 543-546.
Source des photographies ci-dessus