Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

aller aux essentiels

aller aux essentiels

L'atelier Poésie de Martine Cros


Friedrich Schiller, deux poésies.

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 18 Février 2014, 00:14am

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures

 

 

 

 

 

 

ÉTENDUE ET PROFONDEUR

 

 

 

 

 

Il y a beaucoup de gens de par le monde qui savent parler de tout ; on peut les interroger sur ce qui plaît et sur ce qui charme ; quand on les entend disserter, on dirait qu’ils ont vraiment conquis la fiancée.

Mais ils s’en vont silencieusement hors de ce monde ; leur vie a été sans fruit. Que celui qui veut faire quelque œuvre digne d’éloge, amasse lentement et sans relâche la plus grande force sur le plus petit point.

La tige de l’arbre s’élève dans les airs avec ses larges et brillants rameaux ; les feuilles ont une couleur éclatante et un doux arôme, mais elles ne produisent point de fruit. Le germe seul renfermé dans une étroite enveloppe, porte en soi l’orgueil de la forêt, l’arbre.

 

 

 

 

 

439px-Friedrich_schiller.jpg

 

 

 

 

 

 

 

MÉLANCOLIE

 

 

 

À Laura.

 

 

 

Laura, le rayon du soleil levant brille dans tes regards, un sang de pourpre colore tes joues et le ravissement fait tomber comme des perles les larmes de tes yeux. Celui qui a vu cette douce rosée qui, à travers les larmes, contemple la Divinité, celui-là voit l’aurore apparaître à ses yeux.

Ton âme, pure et riante comme le cristal de l’onde, change en un jour de printemps mon pâle automne. Le désert, silencieux et sombre, s’égaye à ton aspect ; les nuages obscurs de l’avenir se dorent par ta puissance ; tu souris aux harmonies de ce monde, et moi je les pleure. L’empire de la nuit n’a-t-il déjà pas enseveli les monuments de la terre ? Nos palais superbes, nos villes splendides s’élèvent sur des ossements modernes ; les œillets puisent leur doux parfum dans la corruption, et la source d’eau limpide tombe d’une sépulture humaine.

Élève tes regards vers les astres flottants, fais-toi raconter leur histoire sous leurs globes, des milliers de printemps ont déjà passé, des milliers de trônes se sont élevés, des milliers de batailles ont retenti d’un bruit sinistre. Cherche dans les campagnes la trace de ces événements : tôt ou tard brisés, les mages retournent dans le cercle des astres.

Regarde maintenant ce soleil éclatant qui se plonge dans la mer ténébreuse. Demande-moi d’où viennent tes fraîches couleurs, d’où vient l’éclat de tes yeux. Peux-tu être fière du sang qui colore ta joue et qui vient d’un impur limon ? Ah ! la mort te prête cette fraicheur avec usure et te la fera payer chèrement.

Ne parle pas des forts. Une joue jeune, colorée, est le plus beau trône de la mort. Derrière ces fleurs de ton visage elle prépare déjà son arc. Crois-moi, c’est la mort même que ton regard languissant appelle, et chaque rayon de tes regards consume la lampe de ta vie. Tes artères, me dis-tu, palpitent encore si vivement. Hélas ! dans leurs palpitations, elles préparent ta destruction.

D’un souffle, la mort fera disparaître ce sourire comme le vent dissipe l’écume légère d’une eau diaprée. En vain tu demandes où est cette mort, elle est dans le printemps de la nature, dans la vie et dans ses germes. Malheureux ! je vois les roses de ta jeunesse s’effeuiller, tes douces lèvres pâlir, tes joues, aux suaves contours, altérées par les hivers, voilées par les sombres années, je vois la source de ton printemps couverte d’un nuage sombre, alors Laura n’aimera plus et Laura ne sera plus aimable.

Jeune fille, ton poète reste ferme comme le chêne, le dard impuissant de la mort s’émoussera sur le roc de ma jeunesse. Mes regards seront plus ardents, mon esprit plus audacieux.

Tu tressailles, Laura, ton cœur bat violemment : apprends donc, jeune fille, que ce bonheur dont je parle, que ce calice où je respire un arôme divin est empoisonné. Malheureux ! malheureux sont ceux qui osent faire jaillir de la poussière l’étincelle céleste. Ah ! la plus grande harmonie brise l’instrument, et cette flamme éthérée, que l’on appelle génie, ne s’entretient que des rayons de la vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

"Poésies de Friedrich Schiller"

Traduction par X. Marmier

Paris, Charpentier, 1854,

Ouvrage complet  à lire ici

 

 

Friedrich Schiller (1759–1805),

peinture à l'huile

de Ludovike Simanowiz (1793-94)

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents