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aller aux essentiels

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L'atelier Poésie de Martine Cros


Croix et délice et autres poèmes - Sandro Penna

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 9 Juin 2018, 22:30pm

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures, #Poésie de langue italienne, #Sandro Penna, #Amelia Rosselli, #Natalia Ginzburg

Le poète italien Sandro Penna, en 1942, à Rome. Archivio GBB/Contrasto.

Le poète italien Sandro Penna, en 1942, à Rome. Archivio GBB/Contrasto.

 

 

 

 

(Extraits)

 

 

 

1.

Croix et délice

Croce e delizia

1927 - 1957

 

 

 

Al pari di un profilo conosciuto,

o meglio sconosciuto, senza pari

fra gli altri animali, unica terra

la tua forma casuale quanto amai.

 

 

 

A l'égal d'une silhouette connue,

ou mieux inconnue, sans égal

parmi les autres animaux, terre unique

combien j'aimais ton visage fortuit.

 

 

PP. 8-9

 

 

 

 

 

Se desolato io cammino... dietro

quel soffio di colline, nella notte

tepida e buia, steso su una zolla

è forse un giovanetto ad occhi aperti.

Ognuno è solo, ma con vario cuore

riguarda sempre le solite stelle.

 

 

 

Quand désolé je marche... derrière

le souffle des collines, dans la nuit

tiède et noire, étendu sur une motte

est peut-être un garçon, les yeux ouverts.

Chacun est seul, mais d'un coeur changeant

regarde toujours les mêmes étoiles.

 

 

PP. 24-25

 

 

 

 

 

 

Sole con luna, mare con foreste,

tutt'insieme baciare in una bocca.

 

Ma il ragazzo non sa. Corre a una porta

di triste luce. E la sua bocca è morta.

 

 

Soleil et lune, mer et forêts,

tout ensemble embrasser sur une bouche.

 

Mais le garçon ne sait. Il court vers une porte

de triste lumière. Et sa bouche est morte.

 

 

PP. 28-29

 

 

 

 

 

 

E nel dolce scompiglio del tuo viso

l'amore della folla. Quanti amici

per un amico qui confuso e solo.

 

 

Sur ton doux visage défait

ton amour de la foule. Tant d'amis

pour ici un ami confus et seul.

 

PP. 46-47

 

 

 

 

 

Com'ero lieto sotto un albero infiore.

Credevo di soffrire ed ascoltavo

i fanciulli voler baciare un cane.

Rispondeva un guaito, -- e una risata

spavalda mi faceva ancor più triste.

Tutto poi si perdeva nella luce

ed il bacio mi stava ad ascoltare.

 

 

Comme j'étais heureux sous un arbre en fleurs.

Je croyais souffrir et j'écoutais

des enfants qui voulaient embrasser un chien.

Leur répondait un jappement -- un rire

insolent me rendait encore plus triste.

Puis tout se perdait dans la lumière,

il me restait à écouter le baiser.

 

 

PP. 66-67

 

 

 

 

 

 

2.

Autres poèmes

1927 - 1977

 

 

 

Poèmes

Poésie

1927 - 1957

 

 

 

lo vivere vorrei addormentato

entro il dolce rumore della vita.

 

 

Vivre je voudrais endormi

dans la douce rumeur de la vie

 

 

PP. 108-109

 

 

 

 

 

Leggera piomba sul bene e sul male

la loro dolce fretta di godere.

 

 

Légère, tombe sur le bien et sur le mal

leur douce hâte de jouir.

 

 

PP. 122-123

 

 

 

 

 

 

Etrangetés

Stanezze

1957 - 1977

 

 

 

Alfio che un treno porta assai lontano.

Dove porti i tuoi occhi dolorosi

e tanta lieti insieme? Adesso è l'alba

e già tanta lontana pare la sera

che da poco è trascorsa con noi. La sera

in cui non hai voluto darmi

quello che solo meritavo, quello

che non dato m'incendia cuore e mente

al tal punto che l'alba o la sera od il giorno

fanno una confusione

in cui vedo soltanto il tuo lume.

 

 

Alfio qu'un train emporte très loin.

Où portes-tu ton regard douloureux

et si gai à la fois? A présent c'est l'aube

et semble déjà si loin le soir

qui avec nous est passé depuis peu. Le soir

où tu n'as voulu me donner

la seule chose que je méritais, qui

de n'être donnée m'incendie coeur et esprit

à tel point que l'aube le soir le jour

créent une confusion

où je ne vois que ta lumière.

 

 

PP. 154-155

 

 

 

Sandro Penna, Croix et Délice & autres poèmes

édition bilingue italien-français, traduction de Bernard Simeone,

suivi de 

"Le monde poétique de Sandro Penna", textes [bilingues également, ndlr]

de Natalia Ginzburg, Amelia Rosselli et Pier Paolo Pasolini,

Ypsilon éditeur, Paris, 2018.

 

 

Croix et délice et autres poèmes - Sandro Penna



Vivant hors de toutes les lois que le temps détermine et impose, ne connaissant dans son univers ni classes sociales ni structures idéologiques, conservant et ayant toujours conservé une parfaite et limpide indifférence à l'égard du pouvoir, entretenant avec les vivants et les morts, les puissants et les faibles, un rapport d'absolue simplicité et d'égalité, il est un des êtres humains les plus libres qui aient jamais existé. Jamais il ne s'est laissé dominer par l'idée d'autrui ; jamais il n'est devenu l'esclave d'une idée à la mode ; jamais il n'a plié ni ne s'est rabougri jusqu'à être ou penser selon un modèle fourni par autrui ou dans l'air du temps. Il n'a jamais réclamé le bonheur mais seulement ses miettes et centimes, ayant la faculté de contempler dans ces miettes et centimes, l'infini de l'univers et le sens de la vie humaine ; et de cette faculté provient le don de sa poésie, généreux et douloureux, né dans le sang, la misère, la solitude et les larmes.

Natalia Ginzburg, extrait, in "Requête d'amour", 1er décembre 1976, in "3. Le Monde poétique de Sandro Penna", traduction : Bernard Simeone, & Marie Fabre, recueil cité, pages 198-199.



Et pourtant à chaque début, à chaque fois qu'un esprit s'ouvre à l'écriture en vers, rien de tout cela n'était premier : l'écriture était le propre de celui qui "révolutionnairement" était forcé à une protestation cachée, qui même tranquille restait telle, de celui qui était isolé et s'isolait de toute participation à un monde névrotique et bourgeois. Et de cette toute première et peut-être primitive innocence, il reste très peu de choses dans "l'âge mûr", l'écrivain s'étant désormais habitué à un mécanisme qui le force à la participation, parfois ne serait-ce que pour se sauver sur un plan financier et social. C'est rarement, et seulement parmi les meilleurs, les vrais poètes, qu'on retrouve la toute première justesse d'aspirations toutes intérieures, alors même que le problème d'être publiés et compris les a déjà rattrapés.
Parmi ces meilleurs et ces vrais poètes se situe Sandro Penna. Et c'est pour cette raison que l'éditeur Garzanti a édité cette année une sorte d' "opera omnia" que constitue "Tutte le poesie", 349 pages dans lesquelles sont inclus les cinq textes fondamentaux de Penna ("Poesie", 1927-36 ; "Appunti", 1938-49 ; "Una strana gioia di vivere", 1949-55 ; "Croce de delizia", 1927-57 ; "Giovanili ritrovate",1927-36) et bien 34 inédits des années 1927-55. [...]

Chacun de ses vers s'attache à une réalité toujours basique, et toujours, même si indirectement, obscène, appartenant à tous (et en cela tout à fait innocente) ; et dans ce "tous" spécialement aux pauvres, aux exclus, aux compromis, aux travailleurs anonymes, prolétaires ou pas, et même souvent jeunes au point d'être à un stade pré-prolétaire, inconscients qu'ils sont, comme les larves d'un socialisme qui ne sait pas parler. Sa bisexualité, son homosexualité est grâce à un rare et précieux hasard ce qui l'amène à mieux connaître une réalité humble et innocente : contrairement à ce qu'amène la même attitude dans les vers de nombreux écrivains que leur particulière idiosyncrasie ou maladie amène au contraire à la préciosité, au snobisme et souvent à une bonne dose d'arrivisme.
Les vers de Penna sont tout le contraire : ses thèmes, rendus sincèrement et obsessionnellement personnels par leur grande monotonie, se réduisent à un seul : aimer, être aimé en retour, ne pas l'être, se retrouver à cause de cette dynamique vaine mais intense -- seul comme toujours mais avec une richesse d'impressions et de vérité en plus.

Amelia Rosselli, extraits, in "Pour Sandro Penna", 1970, in "3. Le Monde poétique de Sandro Penna", traduction de Marie Fabre, recueil cité, pages 214-219.

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