La Parole est cet amour qui s'incarne dans l'oralité sous la forme d'une promesse.
---------- 1. Exorde ----------
LE POÈTE. Il vous faudra, jeunes gens, braver une solitude plus grande car le désert est arrivé au point ultime de son orbe.
Le désespoir n'est nulle part, le désespoir est partout, vos pères vous ont abandonnés et je viens, aujourd'hui, en frère réveiller votre révolte.
Il s'habille en Tragédie.
Et si je vous parle dans ce costume démodé, ce costume de tragédienne dégradée, avec cette langue vieille, c'est pour proclamer que ce qui était hier un travail est aujourd'hui un devoir et qu'il n'y a plus que vous qui puissiez l'accomplir.
Et ce devoir est effrayant. Combien d'entre vous m'entendront ?
S'il y en a un, c'est pour celui-là que je parle.
Ma grimace vous tance en ce bord de fosse, riez de cette grimace, riez !
Nulle vérité et nulle vérité lourde, lourde et qui réclame d'être portée, nulle vérité ne saurait se dire sans masque. Et si le temps exige un masque de grotesque, je le pose avec joie sur ma face !
Je ne veux vous effrayer avec ce devoir qu'en vous faisant rire, aussi un peu. Toujours faire rire et toujours faire peur, voilà l'adage, le bel adage d'exil !
Toujours faire rire et toujours faire peur, et que ceux qui savent avoir peur aient peur et que ceux qui ne savent que rire... rient !
Que faut-il pour que ma Parole vive ? Qu'elle soit entendue.
Et je parle aujourd'hui sans espoir d'être entendu.
Sans espoir de trouver ce compagnon d'armes qui me servirait d'ami et de maître et à qui je vouerais mes forces. Mais où est-il, où est-il, ce jeune poète, ce sacrifié joyeux ? Ah ! Qu'il tarde à mon coeur !
Ce masque, la robe de tragédienne et la littérature exagérée dont je fais profession vous permettront de vous méprendre, j'aime autant ne pas être entendu par ceux qui ne peuvent pas entendre, ils deviennent facilement méchants, ils mordent. Et tandis que j'exhiberai mes fesses damnées, il y aura toujours loisir de se méprendre sur la grande vérité de ce que je prononce.
Alors, faisons-le, avant toute chose, exhibons ces fesses et ce sexe damnés, pour que ceux qui ont de la boue dans l'oreille et les yeux trouvent raison d'être venus sous ce lustre.
Le poète exhibe ses fesses.
Ce n'est pas rien, les fesses du poète ! C'est ce qu'on réclame, la présence dans son obscénité, le marbre est meilleur courtisan des érudits que la chair douloureuse du poète.
Il frappe abondamment ses fesses damnées.
Mais vous vous souviendrez du temps où sous le lustre et parmi les velours vous aurez vu les fesses du poète ! Il n'était pas Shakespeare, mais on pouvait tâter ses fesses, cela a été !
Ce que je prononce, si c'est entendu, et le faut-il ? Ce que je prononce est la supplique pour une insurrection de la Parole.
Supplique, oui, car je suis seul. Eprître, oui par ces accents furieux d'éructation folle et homélie pour la part d'exultation sous le sourcil vengeur !
(…)
L'homme révolté attise cette sédition absolue que le théâtre tient enclose dans son bois, il proclame la fin des consolations mensongères qui lui ont été données comme enseignement, il veut l'insurrection totale de la Parole, et rendre grâce infiniment au masque vieux de son art.
Ce que je dis n'est pas oracle, c'est simple comme la mort, c'est simple comme la mort, un poème !
Oui, cette révolte, cette vengeance de la Parole se fera par soif atroce du poème ! Par soif atroce d'une parole qui redonne le goût de la Parole.
Entendez-vous, frères disparus, entendez-vous, ce grand cri de joie, ralliement d'oiseaux fiers et foudre salubre qui sous le masque chante encore le miracle du dire ?
Olivier Py, Epître aux jeunes acteurs pour que soit rendue la parole à la parole,
Deux extraits des premières pages (7/10)
Collection APPRENDRE, ACTES-SUD PAPIERS, mai 2018.
Avec cette épître adressée aux jeunes acteurs, Olivier Py offre de successifs chemins à l’entendement de l’écriture poétique.
"Que faut-il pour que ma Parole vive ? Qu’elle soit entendue.
(…) Je suis venu, aujourd’hui, pour vous parler d’une souffrance de la Parole et pour vous exhorter à relever sa flamme."
C’est une supplique.
Quatrième de couverture
Rencontrer un poète, c'est rencontrer un homme. Un homme qui vous donne licence. Qui vous donne licence de votre propre désir. Qui désire pour vous un destin plus désirant. Qui s'est destiné à être vivant dans la langue parce qu'il ne pouvait pas vivre sans l'assentiment de la langue. Il ne pouvait pas vivre autrement que poétiquement, c’est-à-dire retourner en question les présences et les absences. Cet espace, ce temps consacré à l'apprentissage de l'être est un combat politique que nous devons mener. Chaque époque a le sien, et c'est là, aujourd'hui, qu'il y a encore de l'histoire. Le combat du siècle est celui d'un réveil au réel qui s'accomplit absolument dans la langue partagée.
Olivier Py.