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aller aux essentiels

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L'atelier Poésie de Martine Cros


HARMONIUM - WALLACE STEVENS

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 12 Décembre 2017, 15:00pm

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures, #Wallace Stevens, #Harmonium

Source : poetryfoundation.org

Source : poetryfoundation.org

 

 

 

Wallace STEVENS

 

 

HARMONIUM

 

 

 

Traduit de l'anglais

et présenté par

Claire Malroux

(Édition bilingue)

 

Points/Poésie

(Copyright José Corti, 2002)

Dépôt légal mars 2015

 

 

 

 

 

*

 

 

 

HARMONIUM

 

 

 

*

 

 

 

 

INFANTA MARINA

 

 

 

Her terrace was the sand

And the palms and the twilight.

 

She made of the motions of her wrist

The grandiose gestures

Of her thought.

 

The rumpling of the plumes

Of this creature of the evening

Came to be sleights of sails

Over the sea.

 

And thus she roamed

In the roamings of her fan,

Partaking of the sea,

And of the evening,

As they flowed around

And uttered their subsiding sound.

 

 

 

INFANTA MARINA

 

 

 

Sa terrasse était le sable,

Les palmiers et le crépuscule.

 

Des mouvements de son poignet, elle faisait

Les gestes grandioses

De sa pensée.

 

Le froissement des plumes

De cette créature du soir

Devenait jonglerie de voiles

Sur la mer.

 

Ainsi errait-elle

Dans les errances de son éventail,

Participant de la mer

Et participant du soir,

Tandis qu'ils s'écoulaient

Et produisaient leur bruit décroissant.

 

 

 

Pages 36-37

 

 

 

 

 

 

LE MONOCLE DE MON ONCLE °

 

 

 

 

XI

 

 

 

If sex were all, then every trembling hand

Could make us squeak, like dolls, the wished-for words.

But note the unconscionable treachery of fate,

That makes us weep, laugh, grunt and groan, and shout

Doleful heroics, pinching gestures forth

From madness or delight, without regard

To that first, foremost law. Anguishing hour!

Last night, we sat beside a pool of pink,

Clippered with lilies scudding the bright chromes,

Keen to the point of starlight, while a frog

Boomed from his very belly odious chords.

 

 

 

 

LE MONOCLE DE MON ONCLE

 

 

 

 

XI

 

 

 

Si le sexe était tout, alors chaque main tremblante

Pourrait nous arracher, comme aux poupées, les mots désirés.

Mais voyez la déraisonnable trahison du destin

Qui nous fait pleurer, rire, grogner et grommeler, crier

De dolentes épopées, soutirant des gestes

À la folie ou à la volupté, sans tenir compte

De cette première et capitale loi. Heure de tourment !

Hier soir, nous nous tenions au bord d'un étang rose,

Dont des voiliers de lis fendaient les chromes brillants,

D'un vif de clarté stellaire, pendant qu'une grenouille

Beuglait, tirant de son ventre d'horribles accords.

 

 

 

 

° En français dans le texte.

Extrait du poème Le monocle de mon oncle, section XI, pages 58-59

 

 

 

 

 

 

 

ANOTHER WEEPING WOMAN

 

 

 

Pour the unhappiness out

From your bitter heart,

Which grieving will not sweeten.

 

Poison grows in this dark.

It is in the water of tears

Its black blooms rise.

 

The magnificent cause of being,

The imagination, the one reality

In this imagined world

 

Leaves you

With him for whom no phantasy moves,

And you are pierced by a death.

 

 

 

 

AUTRE FEMME EN LARMES

 

 

 

Déverse la tristesse

De ton coeur trop amer

Que le chagrin ne saurait adoucir.

 

Le poison croît dans cette ombre.

C'est dans l'eau des larmes

Qu'éclosent ses fleurs noires.

 

La magnifique raison d'être,

L'imagination, la seule réalité

Dans ce monde imaginaire

 

Te laisse

Avec celui pour qui nulle fantaisie n'a cours

Et tu es percée par une mort.

 

 

 

 

Pages 78-79

 

 

 

OF THE MANNER OF ADRESSING CLOUDS

 

 

 

Gloomy grammarians in golden gowns,

Meekly you keep the mortal rendez-vous,

Eliciting the still sustaining pomps

Of speech which are like music so profound

They seem an exaltation without sound.

Funest philosophers and ponderers,

Their evocations are the speech of clouds.

So speech of your processionals returns

In the casual evocations of your tread

Across the stale, mysterious seasons. These

Are the music of meet resignation; these

The responsive, still sustaining pomps for you

To magnify, if in that drifting waste

You are to be accompanied by more

Than mute bare splendors of the sun and moon.

 

 

 

 

 

SUR LA MANIÈRE DE S'ADRESSER AUX NUAGES

 

 

 

Lugubres grammairiens en glorieuses tuniques,

Humblement vous observez le mortel rendez-vous,

Suscitant les fastes encore substantiels

De la parole, pareils à une musique si profonde

Qu'ils semblent une exaltation dénuée de son.

Funestes penseurs et philosophes,

Leurs évocations sont parole des nuages.

Ainsi la parole de vos hymnes revient-elle

Dans les casuelles évocations de votre marche

À travers les vieilles, mystérieuses saisons. Voilà

La musique de la juste résignation; voilà

Les fastes réceptifs, encore substantiels, qu'il vous

Faut amplifier, si dans ce désert à la dérive

Vous voulez que vous accompagnent davantage que

Les nues splendeurs muettes du soleil et de la lune.

 

 

 

 

Pages 146-147

 

 

 

 

OF THE SURFACE OF THINGS

 

 

 

I

 

In my room, the world is beyond my understanding;

But when I walk I see that it consists of three or four hills and a cloud.

 

II

 

From my balcony, I survey the yellow air,

Reading where I have written,

« The spring is like a belle undressing. »

 

III

 

The gold tree is blue.

The singer has pulled his cloak over his head.

The moon is in the folds of the cloak.

 

 

 

 

DE LA SURFACE DES CHOSES

 

 

 

I

 

Dans ma chambre, le monde passe mon entendement;

Mais quand je marche je vois qu'il se compose de trois ou quatre collines et d'un nuage.

 

II

 

De mon balcon, j'observe l'air jaune,

Je lis là où je l'ai écrit:

« Le printemps est comme une beauté qui se déshabille. »

 

 

III

 

L'arbre d'or est bleu.

Le chanteur a tiré son manteau sur sa tête.

La lune est dans les plis du manteau.

 

 

 

Pages 150-151

 

 

 

 

 

THE CURTAINS IN THE HOUSE
OF THE METAPHYSICIAN

 

 

 

It comes about that the drifting of these curtains

Is full of long motions; as the ponderous

Deflations of distance; or as clouds

Inseparable from their afternoons;

Or the changing of light, the dropping

Of the silence, wide sleep and solitude

Of night, in which all motion

Is beyond us, as the firmament,

Up-rising and down-falling, bares

The last largeness, bold to see.

 

 

 

 

RIDEAUX DANS LA MAISON
DU MÉTAPHYSICIEN

 

 

 

Il advient que l'ondulation de ces rideaux

S'emplisse de longs mouvements; comme les lourds

Dégonflements de la distance; ou les nuages

Inséparables de leurs après-midi;

Ou le changement de la lumière, la tombée

Du silence, du vaste sommeil et de la solitude

De la nuit, en quoi tout mouvement

Nous transcende, comme le firmament,

Se soulevant et s'abaissant, dévoile

L'ultime immensité, vision hardie.

 

 

 

 

 

Pages 162-163

 

Source : theatlantic.com

Source : theatlantic.com

 

 

 

Suggestions pour écouter un instrument de musique de surprenante facture,

made in America dans les années 1920 

 

 

Présentation du recueil par Claire Malroux.

[En rouge, la citation de la présentation]

 

 

 

 

 

Dans l'introduction, intitulée Suggestions pour écouter un instrument de musique de surprenante facture, made in America dans les années 1920, Claire Malroux, la traductrice, rapporte un propos d'une grande critique de la poésie aux Etats-Unis, Helen Vendler, qui conseille d' « entrer » dans la poésie de Wallace Stevens de la manière suivante, qui s'applique précisément aux textes réunis dans HARMONIUM:

 

Voici quatre simples recommandations à l'usage d'un néophyte qui veut déchiffrer Stevens. La première est de substituer « je » là où Stevens écrit « il » ou « elle » […] Deuxièmement, il ne faut jamais se fier au début du poème : le coeur de l'émotion se trouve au milieu [et de citer que, dans Dimanche matin, le premier vers : « Les voluptés du peignoir , d'un café pris tard... » est moins proche de ce coeur que « La mort est mère de la beauté » (section VI)]. Troisièmement, étudiez le contexte du poème, tant dans l'oeuvre même de Stevens que dans celle de ses prédécesseurs. Quatrièmement, ne vous fiez pas aux titres : Anecdote des cannas n'a rien à voir avec les fleurs, pas plus le Bonhomme de neige avec un bonhomme de neige ; on ne trouvera dans aucune volière L'oiseau aux griffes de cuivre acérées. Rares sont les poètes qui intituleraient un poème sur leur maturité et leur désillusion romantique Le monocle de mon oncle. A ces quatre recommandations, pédagogiques et provisoires, s'ajoute une cinquième : [quand vous aurez fait tout cela, refaîtes le chemin inverse], relisez le poème […] en savourant son caractère allusif. En bref, il faut vous le réapproprier tel qu'il existe sur la page, dans toute son originalité et son étrangeté.

 

 

Si on en croit cette analyse, voilà un poète dont la parole éminemment se dissimule. « Bien des stratégies employées par Stevens pour obtenir des effets de nouveauté et d'originalité, poursuit Helen Vendler, sont des stratégies de dissimulation, en particulier du « je » lyrique. » (…) 

 

 

Harmonium paraît en 1923 - W. Stevens est alors âgé de 44 ans, alors qu'il écrit depuis son enfance -. À bien des égards, si on compare les poèmes qui le composent à ceux publiés auparavant en revues, le recueil marque un aboutissement plutôt qu'un réel départ. (…) Aussi est-il impératif de le connaître dans sa totalité pour mesurer toute la diversité des approches tentées dont certaines seront abandonnées par la suite, d'autres au contraire inlassablement reprises. (…)

 

 

Plus loin, un fragment intéressant à propos des influences qui ont réveillé la poésie américaine dans les années 1910, dont les Impressionnistes, les post-impressionnistes, Van Gogh, Gauguin, les Fauves, Cézanne, Matisse, les Cubistes, Picasso, Braque.... :

« Je crois que ce sont les peintres français plus que les écrivains qui nous ont influencés et grande a été cette influence. Ils ont créé un climat de libération, libération sur le plan de la couleur et libération par rapport aux formes stéréotypées, aux sujets rebattus. », écrit William Carlos Williams.

Ce dernier (de quatre ans le cadet de Wallace Stevens), T. S. Eliot (son cadet de dix ans) et Ezra Pound ( son cadet de quinze ans) commencèrent à injecter leurs ferments dans la pâte post-victorienne. L'école des Imagistes, ainsi baptisée par Ezra Pound pour lancer l'oeuvre de la poétesse Hilda Doolittle (H. D.), la campagne d'Amy Lowell, autre imagiste, en faveur du vers libre, la création de la revue Poetry sous son égide et d'autres revues d'avant-garde telles que Trend furent autant de signes de cette régénération.

Il fallut à Wallace Stevens, plus enraciné que tous ces poètes en raison même de son âge dans la tradition de la poésie anglo-saxonne, un certain temps pour s'en détacher : il n'avait pas l'avantage d'être né en Europe comme T. S. Eliot, ou d'y avoir vécu comme Ezra Pound. En revanche, il était plus qu'eux tous prédisposé par sa sensibilité, son raffinement, ses goûts esthétiques, à accueillir l'apport à la fois des poètes, des peintres et des musiciens de l'Ancien continent. Cette magnifique conjonction d'influences parfaitement assimilées au point d'être à leur tour presque invisibles ne se manifeste nulle part dans son oeuvre autant que dans ce premier livre, Harmonium.

 

(…)

 

1915 marque l'année où Wallace Stevens a trouvé sa voix propre, opéré ce saut qualitatif si émouvant chez tout poète. Tous les mouvements dont l'influence s'est exercée sur lui ont été dominés et intégrés : le symbolisme, le climat de fêtes galantes et la musique de Verlaine (on peut lire dans cette optique Peter Quince au clavier), le sens mystique des correspondances propre à Baudelaire, les préciosités et le raffinement prosodique de Mallarmé, la dérision de Laforgue... Venu de plus loin, l'orientalisme. Tout près, l'imagisme et les Exquisites, groupe bohême de Greenwich Village fréquenté par Stevens qui y compte des amis tels qu'Arensberg, poète mineur mais traducteur des Symbolistes. De ces modèles littéraires, sur lesquels se greffent les influences musicales, de Debussy à Stravinsky, et picturales, des Impressionnistes à Duchamp, des Expressionnistes à Chagall, en passant par des peintres avec lesquels Stevens se reconnaissait des affinités plus précises : Matisse ou Cézanne, il subsiste des traces dans Harmonium. (…)

 

« Harmonium » [L'instrument de musique] est par ailleurs inséparable de la notion d'harmonie, qui aura préoccupé Stevens tout au long de sa carrière poétique : trouver un ordre au chaos du monde, établir des rapports inédits et féconds entre l'imagination et la réalité, l'art et le quotidien, les forces de la vie et de la mort. Le pluriel utilisé pour le titre de son second recueil, Idées de l'ordre, indique que cette ambition se déploie dans de multiples directions, parfois contradictoires, de même que l'accord musical peut ne se réaliser qu'au terme de dissonances appelant une résolution.

 

(…)

 

La plupart [des poèmes] sont construits à la façon de tableaux : natures mortes, marines, tel ce poème impressionniste par excellence qu'est Surface marine emplie de nuages, scènes avec ou sans personnages. Les titres parlent d'eux-mêmes : Vierge portant une lanterne, Six paysages significatifs, Deux personnages dans une dense nuit violette, etc.

Le danger serait que le poème devienne pur objet de contemplation, que la poésie ne soit qu'exaltation de la faculté visuelle. Ce pourrait être le cas, précisément, de Surface marine si des notations grinçantes ou incongrues (le chocolat, le jaune de gelée, les masques salés et barbus et surtout l' « excellent clown », « l'être pistache » et « le Nègre à turban ») ne venaient pour finir perturber l'harmonie suave de la mer à l'aurore. L'ironie sous-jacente qui éclate dans la modernité presque agressive de la dernière section vient corriger l'effet d'ensemble créé par les irisations de la couleur et provoquer l'oeil. Stevens semble mettre en garde son lecteur. L'aurore n'est qu'un instant de séduction, un jeu de reflets dans lequel on peut se complaire un instant. Mais ni l'oreille ni l'oeil ne doivent se laisser prendre au piège de la beauté extérieure. Le poète veut pénétrer les « hauts intérieurs » de la mer (Le nu chétif). Aussi jubilatoire qu'elle soit pour les sens grâce aux attraits de la nature ou de l'art, la surface n'en est pas moins un filet d'apparences et doit conduire à la profondeur, non l'occulter. Le texte, de même, n'est jamais à lire au premier degré.

 

(…)

 

La poésie d'Harmonium est une poésie cinétique. Le mouvement s'y inscrit dans toutes sortes de directions, vertical s'il relie la terre au ciel et vice-versa, notamment par le vol des oiseaux, horizontal s'il relie la mer à la terre comme le papillon de l'imagination errant le long de rivages endormis avant d'épouser la réalité d'une fleur d'hibiscus « aussi rouge » qu'un drapeau au-dessus d'un prosaïque café. Mouvement vertical et horizontal se croisent et se compliquent pour former des tourbillons, des spirales (Domination du noir). La perception s'en trouve élargie.

 

(…)

 

Il n'y a donc pas d'orientation unique à rechercher dans Harmonium, pas de « dominante ». Chaque poème possède son autonomie, sa prosodie propre, ne reflète que sa vérité, qu'un moment de la vérité. Il exige d'être écouté isolément, même s'il trouve des échos ailleurs, doit préserver le caractère d'une rencontre unique.

 

(…)

 

En vérité, Stevens ne se laisse enfermer dans aucun système. Il conviendrait de parler à son sujet plutôt d'approches, à la façon dont un peintre s'essaie à capter la lumière apte à transfigurer l'objet ou plutôt à le faire percevoir dans sa réalité. Comme Dickinson encore, c'est un poète en perpétuelle recherche, un frère en « intranquillité » de son contemporain Pessoa : « Il ne peut jamais être satisfait, l'esprit, jamais », déclare-t-il.

 

(…)

 

(…) Mais Stevens se refuse à rejoindre l'univers mallarméen, retranché de la vie. Ses poèmes sont des dissonances ou des accords dont la vie reste le point de référence. Tantôt il est en résonance avec la nature (Infanta marina), tantôt il s'effraie de la « domination du noir », de l'irruption de l' « indien », s'affole de trouver un énergumène jusque dans son rêve et de voir le « sol bleu » de ce rêve « semé de blocs et d'obstacles d'acier » (Anecdote du prince des paons). Le pouvoir de l'imagination n'est exalté que pour être aussitôt nié et réciproquement. Le registre de ces oscillations a de quoi déconcerter quiconque est à la recherche d'une certitude, d'un sens qui éclairerait d'une lumière unique les objets (tableaux, scènes, etc) du poème.

 

(…)

 

(…) Certains poèmes enfin, prenant la forme d'ébauches et de fragments de théorie ou au contraire de longues méditations, manifestent la pente naturelle de Stevens à la spéculation. Ils mettent en lumière ce que les autres dissimulent, invitent à voir dans le poème, tout poème, un véhicule de l'interrogation sur les pouvoirs et les limites de la poésie. (…)

 

 

 

 

 

 

 

Claire Malroux, extraits, pages 7-24.

 

 

 

 

 

La nuit a la couleur
D'un bras de femme :
La nuit, la femelle,
Obscure,
Odorante et souple,
Se dissimule.
Une flaque luit,
Comme un bracelet
Agité dans la danse.


*


The night is of the color
Of a woman's arm :
Night, the female,
Obscure,
Fragrant and supple,
Conceals herself.
A pool shines,
Like a bracelet
Shaken in a dance.



*
Section II de "Six paysages significatifs / Six significant landscapes", pages 192-193




Wallace Stevens, Harmonium.

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