II
MORTS ET ACCÈ S
Reste immobile, dors dans l'accalmie
Reste immobile, dors dans l'accalmie, souffrant avec la blessure
Dans la gorge, qui brûles et fais retour. Toute la nuit à flot
Sur l'océan de silence nous avons perçu le son
Qui venait de la blessure enveloppée dans le drap de sel.
Sous la lune d'un mille au-delà nous avons tremblé écoutant
Le bruit de l'océan couler comme sang de la blessure criante
Et quand le drap de sel se rompit en un ouragan de chants
Les voix de tous les noyés nagèrent dans le vent.
Ouvre un chemin à travers la triste voile,
Ouvre grandes au souffle les portes du bateau errant
Pour que commence mon voyage vers la fin de ma blessure,
Nous avons entendu le bruit de l'océan chanter, et vu le drap de sel scander.
Reste immobile, dors dans l'accalmie, cache la bouche dans la gorge,
Ou nous devrons obéir, et chevaucher avec toi entre les noyés.
Pages 53 &54
III
LA CARTE DU TENDRE
En nul travail de mots
En nul travail de mots depuis trois mois maigres dans la sanglante
Panse de la riche année et la grande bourse de mon corps
Aigrement j'apostrophe ma pauvreté et mon art :
Tout n'est que prendre et donner, retourner ce qui avidement se donne
Gonflant les tonnes de manne à travers la rosée jusqu'au ciel,
Le don aimé de la faconde percute en retour un trait aveugle.
Elever, prendre congé des trésors de l'homme est mort douce
Qui ratissera enfin toutes monnaies de la respiration poinçonnée
Et comptera les mystères raflés, délaissés dans une obscurité mauvaise.
Se rendre à présent c'est payer deux fois l'ogre dispendieux.
Forêts anciennes de mon sang, écrasez-vous sur la noisette des mers
Si je brûle ou restitue ce monde, de chacun le travail.
Pages 94 &95
V
POEMES INACHEVES
ANNEXE
Dans mon métier,
mon art morose
Dans mon métier, mon art morose
exercé dans la nuit silencieuse
quand la lune seule fait rage
quand les amants sont étendus
avec toutes leurs douleurs dans les bras,
je travaille, à la lumière du chant,
non par ambition ou pour mon pain
ni pour le semblant, ni par commerce
de charmes sur des scènes d'ivoire
mais pour le salaire ordinaire
du profond secret de leurs coeurs.
Ni pour le prétentieux, ignorant
la lune qui fait rage, j'écris
sur ces pages mouillées d'embrun,
ni pour les morts trop hauts
avec leurs rossignols et leurs psaumes
mais pour les amants, leurs bras
enlaçant les chagrins du Temps,
qui n'accordent ni attention, ni salaire
ni éloge à mon métier, mon art morose.
Page 132
Vingt-quatre années
Vingt-quatre années rappellent les larmes de mes yeux.
(Enterrez les morts de peur qu'ils marchent vers la tombe en travail.)
Dans l'aine, porte naturelle, j'étais assis comme un tailleur,
Je cousais un linceul pour un voyage
Dans la lumière du soleil carnassier.
Paré pour la mort, la sensuelle pavane commencée,
Les rouges veines pleines d'argent,
Dans la direction ultime de la ville élémentaire
J'avance aussi longtemps que dure notre éternité.
Page 136