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aller aux essentiels

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L'atelier Poésie de Martine Cros


de la Nuit étoilée d'Edvard Munch, par Gérard Titus-Carmel

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 20 Août 2013, 13:40pm

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures

 

 

 

 

 

 

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Retrouvailles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi donc, toute sa vie, Munch semble avoir été indifférent, sinon résolument étranger à l'art de la nature morte considérée comme un genre en soi. Son grand opéra dédaigne ses humbles tragédies de bout de table à quoi prétend l'étalage domestique, sur la nappe retroussée, des belles vaisselles et des hauts carafons de verre -- même si, dans les vanités, elles s'agrémentent de quelques figures de la finitude et de notre impermanence : pipes qu'on devine encore tièdes, cartes et portulans de nos errances, crânes et chandelles, instruments de musique.

 

 

 

 

 

Pas plus qu'aux natures mortes, d'ailleurs, Munch ne semble s'être vraiment intéressé à la musique. Que n'a-t-il pourtant perçu dans plusieurs des oeuvres des compositeurs représentant alors "l'esprit du siècle", certains accords résonner aux parages de sa peinture, jusqu'à en épouser le caractère sombre, à l'exemple de l'eau de la vague "avec une crête frangée de blanc" qui entoure progressivement le rocher avant de l'isoler complètement des autres? On pense à Grieg, bien sûr, ne serait-ce que par le voisinage commun de Peer Gynt. Mais aussi à Scriabine, à Mahler, surtout, à Hugo Wolf, plus proche encore. Et à Schönberg – particulièrement à sa musique de chambre.

 

 

 

 

*

 

 

 

 

Et, évoquant Arnold Schönberg, me remontent soudain à la mémoire les lancinantes harmonies de Verklärte Nacht (la Nuit transfigurée), qu'il composa durant l'été 1899, d'après un poème extrait de Weib und Welt, de Richard Dehmel, paru trois ans plus tôt – Dehmel que Munch, par coïncidence, fréquenta assez régulièrement, à cette époque – et dont l'ambition avouée, selon les paroles même de Schönberg, était de "représenter la nature" et "d'exprimer des sentiments humains". Suivant la structure du poème, le sextuor se compose de cinq parties. La scène se déroule dans le cadre plutôt triste d'un bosquet solitaire et dénudé que baigne la vive clarté de la lune. Deux êtres traversent ce décor de grands arbres noirs d'où s'élève la plainte passionnée de la femme, et à quoi répond la compassion de l'homme, avant la réconciliation finale (cela s'opère dans la transfiguration de l'enfant étranger : "Tu as fait pénétrer en moi la splendeur, / de moi tu as fait un enfant") -- qui n'est certes pas la chute à laquelle pouvait naturellement s'attendre le peintre, mais dont l'enlacement sur quoi l'oeuvre s'achève n'est pas sans évoquer l'effusion des baisers dérobés derrière les épais rideaux de ses chambres. ("Il enlace ses lourdes hanches, / leurs haleines se rejoignent dans un baiser", dit le texte, à la fin.)

 

 

 

 

 

Dans ce sextuor de cordes, à plus d'un titre inouï, on retrouve un des thèmes centraux de la dramaturgie de Munch où se déploie le frémissement pathétique d'un éros qui, passant outre les conventions, débouche sur le mystère de la destinée humaine. Et par la construction même du dispositif formel où, "à travers la nuit vaste et claire", s'insinue la mélodie flottante de l'union retrouvée. Quel autre tableau, en effet, que la Nuit étoilée de Munch, où tous les éléments se fondent dans la secrète étreinte d'une même unité, aurait pu accueillir ces déchirantes retrouvailles, au sein d'une nature en apparence apaisée et complice, mais pourtant toujours sourdement inquiète ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gérard Titus-Carmel, Edvard Munch entre chambre et ciel,

Editions Virgile, 2007. (Extrait)

 

Tableau d'Edvard Munch, la Nuit étoilée, 1922-1924,

huile sur toile, 120,5 x 100 cm, musée Munch, Oslo.

 


 

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