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aller aux essentiels

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L'atelier Poésie de Martine Cros


L'ESPACE LITTÉRAIRE - MAURICE BLANCHOT - Le don et le sacrifice / Le saut

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 5 Mars 2016, 16:39pm

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures, #Maurice Blanchot, #De la littérature en général, #Orphée

Gustave Moreau, Orphée sur la tombe d’Eurydice  Etude en rapport avec Orphée sur la tombe d’Eurydice , Plume et encre brune, crayon noir sur papier-calque contrecollé, Musée G. Moreau.

Gustave Moreau, Orphée sur la tombe d’Eurydice Etude en rapport avec Orphée sur la tombe d’Eurydice , Plume et encre brune, crayon noir sur papier-calque contrecollé, Musée G. Moreau.

 

 

 

 

 

Le don et le sacrifice

 

 

 

S'il fallait insister sur ce qu'un tel moment semble annoncer de l'inspiration, il faudrait dire : il lie l'inspiration au désir.

Il introduit, dans le souci de l'oeuvre, le mouvement de l'insouciance où l'oeuvre est sacrifiée : la loi dernière de l'oeuvre est enfreinte, l'oeuvre est trahie en faveur d'Eurydice, de l'ombre. L'insouciance est le mouvement du sacrifice, sacrifice qui ne peut être qu'insouciant, léger, qui est peut-être la faute, qui s'expie immédiatement comme la faute, mais qui a la légèreté, l'insouciance, l'innocence pour substance : sacrifice sans cérémonie, où le sacré lui-même, la nuit dans sa profondeur inapprochable, est, par le regard insouciant qui n'est même pas sacrilège, qui n'a nullement la lourdeur ni la gravité d'un acte profanateur, rendu à l'inessentiel, lequel n'est pas le profane, mais est en deçà de ces catégories.

La nuit essentielle qui suit Orphée -- avant le regard insouciant --, la nuit sacrée qu'il tient dans la fascination du chant, qui est alors maintenue dans les limites et l'espace mesuré du chant, est, certes, plus riche, plus auguste, que la futilité vide qu'elle devient après le regard. La nuit sacrée enferme Eurydice, elle enferme dans le chant ce qui dépasse le chant. Mais elle est aussi enfermée : elle est liée, elle est la suivante, le sacré maîtrisé par la force des rites, ce mot qui signifie ordre, rectitude, le droit, la voix du Tao et l'axe du Dharma. Le regard d'Orphée la délie, rompt les limites, brise la loi qui contenait, retenait l'essence. Le regard d'Orphée est, ainsi, le moment extrême de la liberté, moment où il se rend libre de lui-même, et, événement plus important, libère l'oeuvre de son souci, libère le sacré contenu dans l'oeuvre, donne le sacré à lui-même, à la liberté de son essence, à son essence qui est liberté (l'inspiration est, pour cela, le don par excellence). Tout se joue donc dans la décision du regard. C'est dans cette décision que l'origine est approchée par la force du regard qui délie l'essence de la nuit, lève le souci, interrompt l'incessant en le découvrant : moment du désir, de l'insouciance et de l'autorité.

L'inspiration, par le regard d'Orphée, est liée au désir. Le désir est lié à l'insouciance par l'impatience. Qui n'est pas impatient n'en viendra jamais à l'insouciance, à cet instant où le souci s'unit à sa propre transparence ; mais, qui s'en tient à l'impatience ne sera jamais capable du regard insouciant, léger, d'Orphée. C'est pourquoi l'impatience doit être le coeur de la profonde patience, l'éclair pur que l'attente infinie, le silence, la réserve de la patience font jaillir de son sein, non pas seulement comme l'étincelle qu'allume l'extrême tension, mais comme le point brillant qui a échappé à cette attente, le hasard heureux de l'insouciance.

 

 

 

 

Le saut.

 

 

 

Ecrire commence avec le regard d'Orphée, et ce regard est le mouvement du désir qui brise le destin et le souci du chant et, dans cette décision inspirée et insouciante, atteint l'origine, consacre le chant. Mais, pour descendre vers cet instant, il a fallu à Orphée déjà la puissance de l'art. Cela veut dire : l'on écrit que si l'on atteint cet instant vers lequel l'on ne peut toutefois se porter que dans l'espace ouvert par le mouvement d'écrire. Pour écrire, il faut déjà écrire. Dans cette contrariété se situent aussi l'essence de l'écriture, la difficulté de l'expérience et le saut de l'inspiration. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Maurice Blanchot,

Extrait,

 

in

V, L'inspiration,

II, Le regard d'Orphée,

 

in

L'espace littéraire,

folio essais,

Gallimard, 1955, 2014.

 

 

 

D'autres extraits à suivre, bientôt, dans V, L'inspiration. 

 

 

 

 

 

 

 

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