'Voyage de cris à double sens'
Nue, morte, hardie.
Ici et maintenant. Sans interruption.
Je m’écris en vous écrivant. A l’allure d’une
autodérision.
Eperdument. Décidément. Dénouée.
J’apprends par coeur la mort dans la vie, je la
récite même.
Au carrefour des mots avec les couleurs, je suis
l’être que vous n’avez pas été, mais que vous avez
connu. Dans l’absence avec.
Quelqu’un de très cher.
L’absence relance. Par extension. Sa présence
consommée tire à bout portant.
Sur vous. A l’arc des nuages.
La présence de l’absence, tel un grondement de
canon. Le boum du coeur qui s’étonne. Entendu,
vu, oublié, reconnu, quatre fois. Les canons de
l’épiderme. L’absence de quelqu’un que vous avez
appelé mon amour.
Crépitement. Cliché hésitant.
La vie que je vous décris n’existe pas. Elle n’est
que le chemin ondulatoire d’une lettre destinée à
vous faire oublier les perdus.
Ici, c’est nulle part, l’ultime destination.
•
Dans le noir. Les yeux ne servent à rien. (…) Et
tant mieux.
Oubliez les amours. Entamez-en un autre.
Disparaissez. Réapparaissez. Combinez lasers et
fumées. Comme dans une boîte de nuit. Personne
n’aime personne. Tant pis.
•
Voix hypnotiques sur l’océan carnivore du ciel.
Pour vous guider. On est ensemble pour ne pas
exister. C’est fait.
•
Ouvrir n’est pas toujours le contraire de fermer.
Coupez court à.
Incisez. Ça peut aller. Pas mal.
•
Prestidigitateur des lettres jamais écrites, jamais
lues mais dites comme probabilité dangereuse. Je
n’y suis pas. Mais j’écris. Ça suffit.
Ecrire = se baigner dans le sang, nager dans la
chaleur du corps. Déversoir. Ce genre de tatouage
ne parlera jamais du bonheur pendant que mais
du malheur d’avant et d’après la trace. Plutôt.
Rodica DRAGHINCESCU,
Pages 51-52 de 'RA(ts)' , Les Éditions du Petit Pois • Béziers,
Dépôt légal • janvier 2012,
Les Editions du Petit Pois, Poésie contemporaine.
avec des gravures de Marc Granier
Ressenti de lecture sur
« Voyages de cris à double sens »
de Rodica Draghincescu
'Rodicatescence'
Rodica,
Poète,
Pendant qu’entre mes doigts se
consume un sweet Orient,
tu m’inocules ton poème
Je sais
oui
que ton silence dit bien des choses
et que ce bien des choses doit se dire en peu de mots
en l’effleurement le plus persistant de la fleur du mot
et ce peu de mots dire
nous scelle dans une sorte d’éternité
Poète,
Tu parles de l’amour et de son absence
et de la liberté face à eux
Je sais
que la liberté sans amour n’est rien
Avoir des ailes sans pouvoir ni se poser sur le corps du désir
ni s’envoler hors de la cage des petits feux terrestres !
Je sais
qu’oublier ce qu’on perd doit être confié au seul temps
dépourvu de nous
que
pendant ce
temps il est
encore l’heure
de rompre la perdition
avant qu’elle ne nous
dessèche
Je sais
Il faut oser te demander
Poète
de rompre dans sa fraîcheur
l’errance du monde
de la partager comme on partage un paysage
cheveux,
regard,
étonnement au vent
Ce qui saigne du doute lorsque l’amour s’éloigne
devient alors
la rivière
‘Ici c’est nulle part, l’ultime destination’
En soi
avec un fil funambulesque
tu descends par ta gorge et ses catacombes
t’y laisses glisser
mains
épaules
hanches
échine
chevilles
ensuite seulement le visage
puis tu fouilles les entrailles
dragues les souvenirs
trouves le bon débarcadère
intime
‘Incisez’
Je sais
Tu veux asservir les cicatrices à l’improbable guérison
à couvert d’une hypnose
dans l’invocation magique des mots
et dans la responsabilité assumée de leur rage
Dans notre voix qui sort de la capitale de la douleur
toutes les voix de nos ancêtres pleurent
ma voix grave
presque cassée
dans
ta voix énigmatique
gracieuse
Je sais
Tu veux dompter les larmes dans la voix
dresser la folie des démons
Poète
Tu apprends à nager à tous ceux qui cherchent
des rives apaisées au-delà de
l’eau en sang
où ricoche l’humiliation
Tu sais,
ces cercles sur l’eau s’espaçant jusque l’étale et la lisseur
captent ta lumière
la diffracte par l’écume
l’onde du Don
Chaque rescapé reçoit alors un rai
blond dans son
coeur
Pour cette Rodicatescence,
Merci…
Martine CROS, in Notes de Lectures,
dans Levure Littéraire n° 7
dont Rodica Draghincescu est la directrice et la fondatrice
Don et mécénat pour la revue