Les abeilles meurent en dormant
-- Extraits --
Je guide les mots de ma main,
bande d'animaux sombres et nerveux,
fraîcheur cachée dans des coquilles d'escargots abîmées,
tissée dans chaque pétale du coquelicot,
je croyais être parvenu à quelque chose de réel,
maintenant c'est là, lumière blanche dans l'herbe,
comme du linge arraché par le vent,
bientôt mon coeur sera dévoré
au son des tambours,
il ne restera qu'un peu de calcaire,
un ensemble de tombes arabes basses, de bancs de poissons,
de rêves lents de tortues,
de seins arrondis par les robes, par le dialogue concave des mains
sous les vêtements qu'il faut arranger avant que le cortège d'enterrement
ne passe devant nous,
un ciel d'automne métallisé
avec des vers blancs que les oiseaux dictent aux étoiles,
pendant que des chiens furieux
déchirent la gorge des veaux à la faveur de l'obscurité,
des coins de rues, des arbres, tout le reste que je dois inventer
pour être là comme individu normal,
pour exister comme raison pure,
fluorescence dans le soleil du cerveau.
*
Jour aveuglé
sur le T de toute chose
quelqu'un étale du sang sur la porte
qui donne accès à notre intelligence
mais nous pouvons déjà dire après
et nous étendre dans l'herbe au-dessus de nous
comme si nous avions compris
quoi que ce soit,
mais ce n'est pas le cas, nous avons simplement laissé les choses se produire
dans l'ordre proposé par le temps.
*
Le souffle d'une grosse bête, n'aie plus peur
tu peux bien t'approcher de moi,
me réchauffer ou me donner quelque chose à manger,
un cactus a fleuri au cours de la nuit,
il a des fleurs jaunes et rouges carnivores,
faisons encore l'amour mais lentement cette fois
pour que la cruauté perde son sens,
un hélicoptère s'est écrasé dans mon cerveau
le voilà avec son hélice tourbillonnante
qui coupe mes pensées en morceaux.
*
Tu dis
que les abeilles meurent en dormant,
mais elles tombent par terre
frappées d'une embolie
cérébrale,
il y a
probablement du miel
à l'intérieur des murs
et elles reviennent
d'année en année.
*
Tu dis
Réveille-toi.
Mais tu ne dois pas me bousculer,
Les nouveaux-nés doivent d'abord apprendre à voir,
leurs yeux doivent s'habituer à la lumière,
chaque jour a son ombre,
sa manière de dépasser toute mesure.
Un oiseau de proie trâine un espoir hurlant le long de la terre,
des bateaux rouillés s'échouent dans les nuages,
et nous tenons une main protectrice au-dessus de ceux que nous aimons.
*
Pardonne-moi, mon ami,
le givre qui couvre tous les bancs,
le soleil et les nouveaux tuyaux qui dix fois
font éclater le sommeil,
le paysage et le visage
qui disparaissent dans le maculateur de l'oeil,
le soleil qui se lève
et se couche chaque jour,
ma parole que je t'ai donnée,
et le fait que je n'existe plus.
Morten Søndergaard
Tous droits réservés: © Boutures / « île en île » 2001-2002
Les textes de tous les numéros de Boutures sont intégralement en ligne
sur le site officiel des archives de la revue (1999-2002) gérée par île en île
Morten Søndergaard, Photo: FRANK SEBASTIAN HANSEN/NORDEN.ORG
Notes :
En 1998, cet auteur danois reçoit le prix Michael Strunge pour son recueil de poèmes "Bier dør sovende" ("Les abeilles meurent en dormant"), dont la traduction allemande paraít en 2007. Ici, pour ces extraits publiés dans la revue Boutures, le traducteur, Karl Ejby Poulsen, a été directeur de la Fondation danoise à Paris pendant 25 ans.
Søndergaard, lui, a traduit en danois plusieurs oeuvres de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges.
En français, peu d'ouvrages parus de ce poète :
"Sahara entre mes mains", Editions Esprit ouvert, 2005, traduit du danois par Eva Berg Gravensten & Eric Guilleman
"Trois poètes danois", anthologie bilingue, avec Ursula Andkjaer Olsen et Naja Marie Aidt, Traduit par Christine Berlioz et Laila Flinf Thullesen, Editions du Murmure, collection 3 poètes..., mars 2011
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