"Mon enfant a un sourire énigmatique.
Je lui demande où il a caché sa voix de petit garçon.
Il sourit mais ne dit mot.
J'ouvre tiroirs et placards
soulève le tapis
je regarde aussi dans l'eau des fleurs
des poissons. Ne veux-tu pas parler ?
Ne veux-tu pas de ta voix grave me dire où je pourrais
une fois encore entendre ta voix d'enfant ?
Il sourit.
Je bats la campagne à la tombée du jour
dans les herbes hautes j'écoute les insectes
qui scient quelque chose avec les dents
est-ce sa voix perdue
avec laquelle ils font de tout petits fagots ?"
Extrait
de "Mon enfant de sept lieues", paru en 2012 aux éditions circa 1924,
un poème de Marie HUOT, illustré par Bessonpierre, 8 pages de délice
photo Michel Durigneux
Un livre mince, carré, aussi délicat à prendre entre les mains que l'écriture qu'il recèle. Les illustrations sont emplies de finesse. A voir ce petit format, je ne me doutais pas que ce poème fut si vaste, ni que son étendue, ou plutôt, sa profondeur, pouvait se cacher sous le coin d'un tapis.
Comme le sourire de l'enfant évoqué, le poème est aussi énigmatique que délicatement réaliste.
"Lui dire les douceurs le brusque et l'épouvante
les douceurs encore et le soudain précipice
la chute l'obstacle le remous."
La mère parle de l'enfant, parle à l'enfant. Elle lui a offert la vie paumes ouvertes, avec l'immense amour dedans, l'a préparé à voler de ses propres ailes. Mais une mère est-elle prête à ce que son enfant s'envole loin, quand bien même elle se le tait? Le babil enfantin chante toujours en elle, comme pour éloigner l'angoisse, celle qui "est le possible de la liberté, seule cette angoisse-là forme par la foi l'homme absolument, en dévorant toutes les finitudes, en dénudant toutes leurs déceptions." (Soren Kierkegaard )
"Regarde mon enfant je ne serai bientôt plus
qu'un pont sous l'orage"
La mère sait que le monde immense et épineux va happer l'enfant de sept lieues, qui grandit, s'envole, qui est arraché de la maison. Un vide serait là, que l'inaltérable amour d'une mère emplit toujours. Elle emplit le vide, l'absence, se nourrissant de la nature consolatrice.
"...je le chercherai dans le paysage."
Elle emplit le vide en tissant la présence.
"jour et nuit je couds belles manches de pelage doux"
Même loin, l'enfant est là, au creu du coeur. L'enfant, l'être chair de sa vie.
Martine Cros.