Narrateur dans ta cabane en plein champ envahie par les herbes, toi l'homme doué du sens de l'orientation, tu peux tranquillement te taire, garder peut-être le silence dans les siècles des siècles, écoutant l'extérieur, descendant à l'intérieur de toi-même, mais ensuite, roi, enfant, rassemble tes forces, redresse-toi, appuie-toi sur tes coudes, souris à la ronde, reprends une profonde inspiration, et fais à nouveau entendre celui qui apaise tous les conflits, ton : "Et..."
1974
Juillet-Août
Peter Handke commence la rédaction de Die Stunde der wahren Empfindung (L'Heure de la sensation vraie). Il confie à l'écrivain allemand Hermann Lenz sa difficulté à écrire, mais "parfois survient une lumière des lignes du manuscrit" (correspondance, 2006). Dans ce livre, le héros est attaché de presse à l'ambassade d'Autriche à Paris. Après le rêve d'une nuit, il se sent changé. Au moment de la publication de la traduction française aux Editions Gallimard, on pouvait lire cette présentation en quatrième de couverture : "Est-ce la nausée qui le possède ? Il semble plutôt qu'il s'agisse d'une brusque métamorphose de la sensibilité, véritable conversion intérieure donnant à voir la pseudo-réalité de la vie quotidienne comme un cérémonial insupportable et vide. Cela ne va pas sans malaise. Mais l'angoisse [...] qui en résulte, l'insécurité fondamentale retrouvée (il n'aurait jamais fallu la perdre) font de ce malaise une sorte de malaise critique qui n'épargne rien. Ne plus vouloir de rien, vouloir tout supprimer, entraîne, par un mouvement aussi nécessaire qu'imprévu, à tout remarquer, tout observer, tout décrire, dans une sorte d'émerveillement horrifié."
Cité in "Vie & Oeuvre" par Léocadie Handke, in Peter Handke, Les Cabanes du narrateur, Oeuvres choisies, Quarto/Gallimard, octobre 2020, p. 38.
Pour moi l'absence de langue... je ne peux pas m'imaginer de plus grande douleur. Je redoute toujours cette absence de langue, et aussi le ne-plus-pouvoir-avancer, souvent au milieu d'une phrase : car il ne va nullement de soi qu'une phrase suive l'autre, il vous faut en écrivant trouver la loi de cette succession. Ces secousses que l'on ressent en passant d'une phrase à l'autre, en travaillant, en réfléchissant [...] ce sont les secousses de la chaleur. [...] Car écrire n'est pas seulement la routine de s'asseoir à table devant une histoire, mais c'est un commencement, l'arrachement à une nuit, à un ne-plus-pouvoir-être-sûr, va-t-on franchir cette ligne d'ombre.