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Je ne dirai pas : un tel est un poète blanc, un tel un poète noir. Ce serait, d'idées, tomber en opinions, en discussions et en erreur. Je ne dirai même pas : un tel a le don poétique, un tel ne l'a pas. L'ai-je ? Souvent j'en doute, parfois je crois en être sûr. Je n'en suis jamais certain une fois pour toutes. Chaque fois la question est nouvelle. Chaque fois que l'aube paraît, le mystère est là tout entier. Mais si je fus jadis poète, certainement je fus un poète noir, et si demain je dois être un poète, je veux être un poète blanc. De fait, toute poésie humaine est mêlée de blanc et de noir : mais l'une tend vers le blanc, l'autre vers le noir.
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Je distinguerai trois phases, dans l'opération poétique : celle du germe lumineux, celle du vêtement d'images, et celle de l'expression verbale.
Fragments pages 8-10, « Poésie noire et poésie blanche », essai publié dans la revue Fontaine n°19/20 (1942).
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Vous savez maintenant que je veux parler de la guerre sainte.
Celui qui a déclaré cette guerre en lui, il est en paix avec ses semblables, et, bien qu'il soit tout entier le champ de la plus violente bataille, au dedans du dedans de lui-même règne une paix plus active que toutes les guerres. Et plus règne la paix au dedans du dedans, dans le silence et la solitude centrale, plus fait rage la guerre contre le tumulte des mensonges et l'innombrable illusion.
Fragment page 25, « La guerre sainte », prose publiée dans la revue Fontaine n°11 (1940).
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Souviens-toi du beau mirage des concepts, et des mots émouvants, – palais de miroirs, bâti dans une cave ; et souviens-toi de l'homme qui vint, qui cassa tout, qui te prit de sa rude main, te tira de tes rêves, et te fit asseoir dans les épines du plein jour ; et souviens-toi que tu ne sais te souvenir.
Fragment page 30, « Mémorables », prose publiée dans la revue Fontaine n°23 (1942).
René Daumal, in Poésie noire et poésie blanche, éditions Voix d'Encre, 2015.