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aller aux essentiels

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L'atelier Poésie de Martine Cros


[Banalité] - André du Bouchet

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 4 Novembre 2018, 19:30pm

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures, #De la poésie en particulier, #André du Bouchet

/MC\, "Banalité", hommage à André du Bouchet, acrylique sur toile, 3. 11. 18.

/MC\, "Banalité", hommage à André du Bouchet, acrylique sur toile, 3. 11. 18.

 

 

 

 

Poésie,

diamant de la respiration,

 

 

restituant à l'être ce qui lui est pris dans cette image si éblouissante qu'elle n'a pas de nom et que je ne m'aperçois pas plus de la disparition des mots que je perds, que lui de celle des mots que je lui arrache,

 

 

idée ventre,

idée lumière,

prenant feu d'homme en homme,

et s'amalgamant en nappe de flamme

qui tremble chaque fois qu'un homme ou une femme respire,

 

 

idée de ciel prenant feu,

idée de terre prenant feu,

idée d'eau prenant feu,

 

 

papillon des paupières grand ouvert,

 

 

crevasses lumineuses,

idée aveuglante du ciel où je roule,

sillage de cette terre mue par ce souffle,

sentiers du ciel dont l'intelligence me cuirasse de ses flaques

 

 

pour quelques millénaires,

 

 

sceau sur la bouche des rues

 

 

 

 

 

 

 

 

[Cahier de 1951, pages transcrites par l'auteur]

 

 

 

 

Les épines déchirantes, les glaçons transparents de la connaissance dans la lumière fade du jour et du rêve.

 

 

Écrire lorsqu'on ne trouve devant soi que cette paroi muette qui ne répond pas. Écrire parce qu'on n'a plus rien à dire ; c'est à ce moment, de tous le plus mauvais, qu'il faut le dire.

 

 

Je me trouve encore devant moi : il faut passer.

 

 

C'est l'immensité qui m'arrête. Indicible sensation d'étouffement devant la réalité qui me fait repartir. Je recommence, je crie derrière cette muraille de mots qui s'écarte lentement et va se refermer derrière moi ; on voulait sortir : on est simplement passé dans une autre pièce.

 

 

Écrire ce texte devrait chaque fois être aussi facile que respirer. Chaque fois, il faut que je me lance violemment en avant, comme dans un bain glacé. Mon état usuel est donc l'asphyxie.

 

 

Voici les quelques phrases qui survivent au poème que j'ai oublié et qui a disparu avec le soleil.

 

 

Tout a été dit, mais il faut sans cesse le répéter.

 

 

Horreur de voir ces choses se composer en mots.

 

 

Deux poésies : celle qui s'élabore pendant que l'homme reste muet ; les mots faits de beaucoup de silence ; et celle qui emboîte la parole au héros.

 

 

La terre somnambule. L'air imprimé que la nuit remue.

 

 

*

 

 

Payer de mots. Le silence ne donne que le silence.

 

 

Chaque poème est une écorce arrachée qui met les sens à vif. Le poème a rompu cette taie, ce mur, qui atrophie les sens. On peut alors saisir un instant la terre, la réalité. Puis la plaie vive se cicatrise. Tout redevient sourd, aveugle, muet.

 

 

Saisir l'homme, aussi réel que nature. La conscience qui flambe sans mots.

 

 

Au lieu de commencer par former des mots, des phrases, j'imagine d'abord des rapports muets avec le monde.

 

 

L'assemblage préalable des mots facilite la tâche, mais rend le poème plus lâche.

 

 

La lamentation, l'invective et l'interrogation ont été remplacées par la définition. Rien d'étonnant à ce que les poèmes tendent à être plus concis.

 

 

Si l'on pouvait forcer la nature à parler : toutes les hyperboles viennent de là. Forcer la nature comme on force un coffre – la nature muette.

 

 

Battement éternel entre les textes largement ouverts, évocateurs d'objets réfractaires à la parole, et ces dix lignes fermées comme le poing.

 

 

Il fallait creuser dans les mots, dans le jour, un espace analogue à celui de cette chambre, par exemple.

 

 

L'homme est la partie consciente de la réalité, il est la tête de la réalité.

 

 

 

 

 

André du Bouchet, extraits de « Essais et ébauches sur la poésie, écrits entre 1951 et 1959, non publiés par l'auteur », in Aveuglante ou banale, éditions Le Bruit du temps, 2011, pages 131-135.

 

 

 

-- détail --

-- détail --

 

 

 

 

 

[Banalité]

 

 

 

BANALITÉ.

Pour arriver aux mots interchangeables, à la banalité, à la fraternité des éléments, des analogies.

 

*

 

[…]

 

*

 

La poésie n'est que le signe de ce qui fait vivre, un écho, et vraiment l'ombre de l'homme, et il se trouvera toujours quelqu'un d'assez insensé pour ne vouloir vivre que pour ces signes, cette ombre.

Dire par ces signes, pour avoir raison. Ainsi se dévoile la seconde phase de la poésie. La seconde phase qui ne cesse de se parfaire, contrairement à la première, achevée, dépassée, révolue. Vivant par ce qui reste à vivre. S'apprêtant sans fin, et vraiment éternellement, à recevoir son sens. Elle n'est jamais assez confirmée. Blanche. En attendant.

Car c'est par ces signes mêmes qu'il peut vivre avec plus d'ampleur, s'étendre. Hors de lui. Se montrer digne de la réalité. Au-delà de ce qui a pu dépendre de lui.

 

La lumière de l'homme.

Sur ce plan, la poésie réalisée ne dépend plus que de l'air irréalisé, dont elle attend toute sa substance. Elle l'exige. Seul l'imprévu lui donne son sens positif.

Voilà ce que dit celui qui partage ce qu'il imagine.

Rien n'est donc hermétique. Il n'y a plus rien d'hermétique au monde.

Je mets moi-même du temps à comprendre. À comprendre ce que j'écris.

 

*

 

La cohérence profonde de certaines images superficiellement disparates et d'où elles tirent leur pouvoir d'évidence tout en demeurant sourdes, n'est que la manifestation de leur fidélité à une autre évidence, extérieure, elle, à la poésie, dont il ne reste souvent plus trace. Cette cohérence profonde qui nous fait admettre un poème presque aveuglément, machinalement – dès qu'en le lisant nous cessons de le lier à l'effort du poète qui l'a mot après mot inventé – clair par le ton, sinon par l'enchaînement des termes – cependant nous vivons, – cette cohérence leur confère en tout cas un {caractère} rudimentaire, c'est-à-dire un élément de vie, et les rend donc parfaitement admissibles. Ainsi des poèmes, parmi les plus beaux, ont eu la chance d'aboutir à un texte presque blanc, comme une page de papier blanc, sans rature, ou de l'air, c'est-à-dire infiniment disponibles par rapport à cette réalité, elle aussi disponible, à laquelle en gage de leur pouvoir ultime, ils nous renvoient, nous n'avons pas avancé d'un pas : seul compte le ton de cette banalité. Le ton est le son que rend la réalité qu'il a frappée.

 

 

*

 

 

C'EST-À-DIRE

 

que rien n'est à inventer.

 

On copie l'idée de la {liberté}.

 

Je ne fais que ce qui me déplaît.

 

Je sors.

 

En route, le moindre accident change le cours de ce que je dis.

Tout me corrige. Le hasard place son homme, son arbre ou sa pierre.

Il démolit tout un pan de phrase pour passer, et la laisser en suspens s'il va plus loin.

Les poèmes sont ses ornières.

 

 

*

 

 

 

 

André du Bouchet, extraits de [Banalité], in « Essais et ébauches sur la poésie, écrits entre 1951 et 1959, non publiés par l'auteur », in Aveuglante ou banale, éditions Le Bruit du temps, 2011, pages 136-139.

 

 

 

 

[Banalité] - André du Bouchet


peser de tout son poids sur le
mot
le plus faible
pour qu’il éclate
et livre son ciel 

André du Bouchet, cité dans un article passionnant d'Olivier Paccoud

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