Givre et neige ont beau refroidir ces rameaux ; ils laisser éclater
leurs désirs cachés. Troncs noueux branches dressées polis par les ans.
Coeur de vacuité rejoignant l'âge immémorial. Ensorcelé, l'homme
confond fer rouillé et chair ardente. Ebloui par mille gemmes jadis
tombées du ciel. Comment donc réprimer les cris qui jaillissent :
Homme et Fleur participent de la même Folie !
Shih -T'Ao,
Odes aux fleurs de prunus
in
Possession Immédiate n°8, "deux mille dix-huit",
Revue littéraire et photographique, hivers 2017.
Mais l’univers a-t-il jamais vieilli ?
Verte est la montagne par-delà le ciel.
Shitao
Verts, aussi, les deux pins qui s’enlacent au sommet : vieux et rugueux de partout, mais prêts à danser, jurerait-on, tout arbres qu’ils sont. Que les deux amis, conversant sagement à leurs pieds, en prennent de la graine.
L’art aussi est invité à en prendre de la graine. La main est nouée, mais le pinceau est vert. On songe au Renoir de la fin, dans son jardin, doigts paralysés par l’arthrose, qui se fait attacher la brosse au poignet pour ne pas laisser son vieux coeur sans emploi, et qui peste comme un charretier... parce que le monde est trop beau.
Ce qui importe ce n'est pas de faire des expériences neuves, mais de s'éveiller en soi-même et d'apprendre à partir de ce qu'on a. Les milliers de concepts abstraits qui débouchent les uns dans les autres, s'interpénètrent, sont comme les alluvions que le grand fleuve dépose sur ses deux rives. Lorsque l'on nage au milieu en pleine eau vive, cela ne nous concerne nullement et il ne faut pas même s'en soucier, certes il est troublant de voir tant et tant de personnes ronger sans cesse autour de ces concepts comme des chiens sur un vieil os et on n'ose pas tenir toute cette agitation pour nulle. Pourtant il le faut. La plupart des gens ne vivent pas dans la vie, mais dans un simulacre, dans une sorte d'algèbre où rien n'existe et où tout seulement signifie. Je voudrais éprouver fortement l'être de toute chose et, plongé dans l'être, la profonde signification réelle. L'être-escarpé des montagnes, l'être-immense de la mer, l'être-obscur de la nuit, la manière qu'ont les chevaux de regarder fixement, la constitution de nos mains, le parfum des œillets, la succession des houles et des creux dans le sol, ou des dunes, ou des falaises sévères, la manière dont un pays entier se livre au vu d'une montagne, et ce qu'on ressent en pénétrant par une journée torride par un frais vestibule aux dalles mouillées, ou lorsqu'on mange une glace : dans toutes les innombrables choses de l'existence, en chacune isolément et de façon singulière, quelque chose s'exprime, que les mots jamais ne peuvent rendre, mais qui parle à notre âme.
Hugo von Hofmannsthal,
Lettre à Edgar Karg von Bebenburg du 18 juin 1895
in
Possession Immédiate n°8, "deux mille dix-huit",
Revue littéraire et photographique, hivers 2017.
Source des peintures de Shitao, et ressources sur ce peintre
Les Mots ne sont pas de ce monde | Rivages
https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/les-mots-ne-sont-pas-de-ce-monde-9782743613891
Cet échange intense sur les enjeux de la formation de la personnalité se résume en un projet commun initié par Hofmannsthal : "Être meilleur et plus distingué que la vie."
Encyclopédie sur la mort | Hofmannsthal Hugo von
http://agora.qc.ca/thematiques/mort/dossiers/hofmannsthal_hugo_von
Ressources sur Hugo von Hofmannsthal - 1874-1929 -