Mais je vous préviens :
Je vis une dernière fois.
Ni l'hirondelle, ni l'érable,
Ni le roseau ou l'étoile,
Ni l'eau de source,
Ni le tintement de la cloche --
Je ne troublerai personne
Ni ne visiterai les songes
Avec ma plainte inapaisée.
[7 novembre] 1940
Anna Akhmatova, in 1940,
in La guerre,
traduction Christian Mouze,
éditions Harpo &, 2010.
____________________
SERMENT
Celle qui aujourd'hui prend congé de son amour --
Qu'elle fonde toute sa douleur dans sa force.
Aux enfants et aux tombes voilà notre serment :
On ne forcera nul de nous à se soumettre !
Leningrad. Juillet 1941
Anna Akhmatova, in Le vent de la guerre,
in La guerre,
traduction Christian Mouze,
éditions Harpo &, 2010.
____________________
Toutes les âmes aimées sont sur de hautes étoiles.
Et comme c'est bien de pouvoir perdre et pleurer quelqu'un.
L'air de Tsarskoïé Sélo
A tous les chants fait écho.
Et sur la rive un saule d'argent
Effleure l'eau vive de septembre.
Du passé se soulève en silence
Mon ombre qui vient à ma rencontre.
Tant de lyres ici sont suspendues aux branches,
Et la mienne aussi est là en apparence.
Et cette fine pluie, ensoleillée et rare
Apporte heureuse nouvelle et consolation.
1944 [?]
Anna Akhmatova, in Tachkent Leningrad,
in La guerre,
traduction Christian Mouze,
éditions Harpo &, 2010.
____________________
Sur terre, la tristesse est plus durable que tout
Et le Verbe sublime plus vivant.
POSTFACE AU CYCLE DE LENINGRAD
Vraiment ne suis-je pas au pied de la croix?
Est-ce que les flots ne m'ont pas engloutie ?
Mes lèvres auraient oublié ton goût,
Détresse ?
Janvier 1944
Anna Akhmatova, in Tachkent Leningrad,
in La guerre,
traduction Christian Mouze,
éditions Harpo &, 2010.
____________________
Et dans le lointain les traits de Faust
Comme d'une ville et ses tours noires,
Ses cloches, les heures qui sonnent,
Ses minuits remplis d'orage,
Ses vieillards sans destin, sans Goethe,
Joueurs d'orgue de Barbarie,
Changeurs et bouquinistes,
Qui, mandant le diable,
Qui, s'occupant de négoce avec lui,
Et le bernant et nous laissant en héritage
Ce marché...
Les trompettes bondissaient, invitant la mort,
Devant la mort, la révérence des archets,
Quand quelque étrange instrument avertit,
Et une voix de femme tout d'un coup
Répond. Et alors je m'éveillai.
1945
Anna Akhmatova, in Tachkent Leningrad,
in La guerre,
traduction Christian Mouze,
éditions Harpo &, 2010.
____________________