(Extraits)
1.
Croix et délice
Croce e delizia
1927 - 1957
Al pari di un profilo conosciuto,
o meglio sconosciuto, senza pari
fra gli altri animali, unica terra
la tua forma casuale quanto amai.
A l'égal d'une silhouette connue,
ou mieux inconnue, sans égal
parmi les autres animaux, terre unique
combien j'aimais ton visage fortuit.
PP. 8-9
Se desolato io cammino... dietro
quel soffio di colline, nella notte
tepida e buia, steso su una zolla
è forse un giovanetto ad occhi aperti.
Ognuno è solo, ma con vario cuore
riguarda sempre le solite stelle.
Quand désolé je marche... derrière
le souffle des collines, dans la nuit
tiède et noire, étendu sur une motte
est peut-être un garçon, les yeux ouverts.
Chacun est seul, mais d'un coeur changeant
regarde toujours les mêmes étoiles.
PP. 24-25
Sole con luna, mare con foreste,
tutt'insieme baciare in una bocca.
Ma il ragazzo non sa. Corre a una porta
di triste luce. E la sua bocca è morta.
Soleil et lune, mer et forêts,
tout ensemble embrasser sur une bouche.
Mais le garçon ne sait. Il court vers une porte
de triste lumière. Et sa bouche est morte.
PP. 28-29
E nel dolce scompiglio del tuo viso
l'amore della folla. Quanti amici
per un amico qui confuso e solo.
Sur ton doux visage défait
ton amour de la foule. Tant d'amis
pour ici un ami confus et seul.
PP. 46-47
Com'ero lieto sotto un albero infiore.
Credevo di soffrire ed ascoltavo
i fanciulli voler baciare un cane.
Rispondeva un guaito, -- e una risata
spavalda mi faceva ancor più triste.
Tutto poi si perdeva nella luce
ed il bacio mi stava ad ascoltare.
Comme j'étais heureux sous un arbre en fleurs.
Je croyais souffrir et j'écoutais
des enfants qui voulaient embrasser un chien.
Leur répondait un jappement -- un rire
insolent me rendait encore plus triste.
Puis tout se perdait dans la lumière,
il me restait à écouter le baiser.
PP. 66-67
2.
Autres poèmes
1927 - 1977
Poèmes
Poésie
1927 - 1957
lo vivere vorrei addormentato
entro il dolce rumore della vita.
Vivre je voudrais endormi
dans la douce rumeur de la vie
PP. 108-109
Leggera piomba sul bene e sul male
la loro dolce fretta di godere.
Légère, tombe sur le bien et sur le mal
leur douce hâte de jouir.
PP. 122-123
Etrangetés
Stanezze
1957 - 1977
Alfio che un treno porta assai lontano.
Dove porti i tuoi occhi dolorosi
e tanta lieti insieme? Adesso è l'alba
e già tanta lontana pare la sera
che da poco è trascorsa con noi. La sera
in cui non hai voluto darmi
quello che solo meritavo, quello
che non dato m'incendia cuore e mente
al tal punto che l'alba o la sera od il giorno
fanno una confusione
in cui vedo soltanto il tuo lume.
Alfio qu'un train emporte très loin.
Où portes-tu ton regard douloureux
et si gai à la fois? A présent c'est l'aube
et semble déjà si loin le soir
qui avec nous est passé depuis peu. Le soir
où tu n'as voulu me donner
la seule chose que je méritais, qui
de n'être donnée m'incendie coeur et esprit
à tel point que l'aube le soir le jour
créent une confusion
où je ne vois que ta lumière.
PP. 154-155
Sandro Penna, Croix et Délice & autres poèmes,
édition bilingue italien-français, traduction de Bernard Simeone,
suivi de
"Le monde poétique de Sandro Penna", textes [bilingues également, ndlr]
de Natalia Ginzburg, Amelia Rosselli et Pier Paolo Pasolini,
Ypsilon éditeur, Paris, 2018.
Vivant hors de toutes les lois que le temps détermine et impose, ne connaissant dans son univers ni classes sociales ni structures idéologiques, conservant et ayant toujours conservé une parfaite et limpide indifférence à l'égard du pouvoir, entretenant avec les vivants et les morts, les puissants et les faibles, un rapport d'absolue simplicité et d'égalité, il est un des êtres humains les plus libres qui aient jamais existé. Jamais il ne s'est laissé dominer par l'idée d'autrui ; jamais il n'est devenu l'esclave d'une idée à la mode ; jamais il n'a plié ni ne s'est rabougri jusqu'à être ou penser selon un modèle fourni par autrui ou dans l'air du temps. Il n'a jamais réclamé le bonheur mais seulement ses miettes et centimes, ayant la faculté de contempler dans ces miettes et centimes, l'infini de l'univers et le sens de la vie humaine ; et de cette faculté provient le don de sa poésie, généreux et douloureux, né dans le sang, la misère, la solitude et les larmes.
Et pourtant à chaque début, à chaque fois qu'un esprit s'ouvre à l'écriture en vers, rien de tout cela n'était premier : l'écriture était le propre de celui qui "révolutionnairement" était forcé à une protestation cachée, qui même tranquille restait telle, de celui qui était isolé et s'isolait de toute participation à un monde névrotique et bourgeois. Et de cette toute première et peut-être primitive innocence, il reste très peu de choses dans "l'âge mûr", l'écrivain s'étant désormais habitué à un mécanisme qui le force à la participation, parfois ne serait-ce que pour se sauver sur un plan financier et social. C'est rarement, et seulement parmi les meilleurs, les vrais poètes, qu'on retrouve la toute première justesse d'aspirations toutes intérieures, alors même que le problème d'être publiés et compris les a déjà rattrapés.
Parmi ces meilleurs et ces vrais poètes se situe Sandro Penna. Et c'est pour cette raison que l'éditeur Garzanti a édité cette année une sorte d' "opera omnia" que constitue "Tutte le poesie", 349 pages dans lesquelles sont inclus les cinq textes fondamentaux de Penna ("Poesie", 1927-36 ; "Appunti", 1938-49 ; "Una strana gioia di vivere", 1949-55 ; "Croce de delizia", 1927-57 ; "Giovanili ritrovate",1927-36) et bien 34 inédits des années 1927-55. [...]
Chacun de ses vers s'attache à une réalité toujours basique, et toujours, même si indirectement, obscène, appartenant à tous (et en cela tout à fait innocente) ; et dans ce "tous" spécialement aux pauvres, aux exclus, aux compromis, aux travailleurs anonymes, prolétaires ou pas, et même souvent jeunes au point d'être à un stade pré-prolétaire, inconscients qu'ils sont, comme les larves d'un socialisme qui ne sait pas parler. Sa bisexualité, son homosexualité est grâce à un rare et précieux hasard ce qui l'amène à mieux connaître une réalité humble et innocente : contrairement à ce qu'amène la même attitude dans les vers de nombreux écrivains que leur particulière idiosyncrasie ou maladie amène au contraire à la préciosité, au snobisme et souvent à une bonne dose d'arrivisme.
Les vers de Penna sont tout le contraire : ses thèmes, rendus sincèrement et obsessionnellement personnels par leur grande monotonie, se réduisent à un seul : aimer, être aimé en retour, ne pas l'être, se retrouver à cause de cette dynamique vaine mais intense -- seul comme toujours mais avec une richesse d'impressions et de vérité en plus.
L'éditeur.
Sandro Penna | Chroniques de printemps
http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2008/05/sandro-pennachr.html
D'autres poèmes de Sandro Penna, et une notice bio-bibliographique, sur Terres de femmes.
Édition bilingue. La joie douloureuse d'être là de Sandro Penna
https://www.humanite.fr/edition-bilingue-la-joie-douloureuse-detre-la-de-sandro-penna-656462
Source de la photographie - et article sur le recueil, pour les abonnés -
Un livre-hommage à la poésie de Sandro Penna.
L'hommage, à Sandro Penna, d'un photographe : Francesco Gattoni.