[En janvier 2018], grâce à Nicole G. Albert, [a paru] en édition bilingue et commentée, l’unique œuvre rédigée en langue anglaise de celle qui, pour l’occasion, avait souhaité garder son patronyme : "The one black swan" de Pauline Tarn, recueil posthume de poèmes en prose paru en 1912. De quoi séduire les initié-e-s et les profanes, même si l’on est encore loin d’avoir accès à l’archipel de l’intégrale de Renée Vivien...
Illustration de couverture. D'après Simeon Solomon, "The Winged and Poppied Sleep ", 1889, Aberdeen Art Gallery & Museums Collections, D. R.
IV - Three Shadows
Three shadows sit always before the great eternal throne, waiting.
From thence are they dispatched and flit they where they are bid.
One of these -- first among the shadows -- sitteth at the foot of my
bed, the next one at my right side, and the third, behind my head, where
I see her not.
So stand they always at my bedside and watch.
Il feel, I know their silent waiting presence.
IV - Trois Ombres
Trois ombres demeurent assises devant le grand trône éternel, en
attente.
De là on les dépêche et elles s'envolent là où on le leur demande.
L'une d'elles -- la première de ces ombres -- est assise au pied de mon
lit, la suivante à ma droite, et la troisième à la tête de mon lit, où je ne peux la
voir.
Ainsi se tiennent-elles en permanence à mon chevet, en observation.
Je sens, je sais leur présence silencieuse, attentive.
Renée Vivien, sous le nom de Pauline Mary Tarn, in Le Cygne noir / The One black swan, édition bilingue, présentation, traduction : Nicole G. Albert, collection EO Classiques, ErosOnyx éditions, janvier 2018, pages 30-31.
XIV - The Fjord Undine
By one far-off autumn evening, beheld I the long-dreamed-of water-
maiden, Undine.
At last beheld I that sleeping water-shadow, Undine.
Half hidden under the great water lies she, and ever smiles forth and
faintly calls.
One day yet spake she clear and ripplingly.
I heard and understood.
"Give me roses, give me more roses yet, give me more roses, that I may
twine them in my loose hair.
"Faintly golden is this hair of mine, as the great moonlit waters..."
So hearing, brake I some wild-rose branches.
And cast them on the waters.
"Ah thou, what givest thou me for these roses of mine ?"
"Nothing shall I give thee, even nothing," rippled she back.
Again, wandered I by the northern fjord, and half-spied again Undine...
"Give me some fruit, some fresh, sweet, wild fruit," rippled forth her
voice from out the great depths.
Then again, rippled she :
"Give me some wild fruit.
"For to-night do I ordain the feast, a splendid feast.
"All drowned men, forgotten in the great water's depths, come forth again
this night. All water-women, all those who cling and drag the dying ever
downwards, come with them also.
"Happy are they indeed, these guests of mine ! Their heart is full and hollow
like a sea-shell ; hollow, but full of the sea.
"Long ago have they forgotten the pain of human love."
Then plucked I the bright red berries that reddened the mountain-
side and cast I these bright berries upon the waters.
Then called I forth to Undine, whose faint, clear, laughing voice I heard :
"Shalt thou then for ever give me nothing ?"
One again came the pitiless, far-off answer :
"Nothing shall I give ever ! Nothing !"
And the water faintly rippled :
"Nothing !"
XIV - L'Ondine du Fjord
Par un lointain soir d'automne, je vis la nymphe des eaux dont j'ai
longtemps rêvé, Ondine.
Je vis enfin cette ombre des eaux endormies, Ondine.
A moitié cachée dans l'eau profonde, elle repose, souriant toujours
et appelant d'une voix faible.
Un jour pourtant, elle parla d'une voix claire et murmurée.
J'entendis et je compris.
"Donne-moi des roses, donne-moi plus de roses encore, donne-moi plus de
roses, que je les tresse à mes cheveux dénoués.
"Ma chevelure d'or pâle est pareille au reflet de la lune sur les ondes."
A ces mots, je brisai quelques branches d'églantines.
Et je les semai sur les flots.
"Et toi, que me donneras-tu en échange de mes roses ?"
"Je ne te donnerai rien, rien du tout", murmura-t-elle en guise de réponse.
J'errai de nouveaux le long des fjords nordiques, guettant toujours à
demi Ondine.
"Donne-moi des fruits, des fruits frais, sucrés et sauvages", murmurait
sa voix montant des profondeurs.
Elle murmura à nouveau :
"Donne-moi des fruits sauvages.
"Car ce soir j'organise un festin, un splendide festin.
"Tous les noyés, oubliés dans les eaux profondes, reviennent cette nuit.
Toutes les ondines, toutes celles qui attrapent et entraînent toujours plus
profond les mourants, les accompagneront.
"Ils sont heureux, oui heureux, mes invités ! Leur coeur est aussi débordant
et vide qu'un coquillage marin ; vide, mais plein de la mer.
"Il y a longtemps qu'ils ont oublié la douleur de l'amour humain".
Je cueillis alors les baies rouge vif qui coloraient la montagne et les
semai sur les flots.
Puis j'appelai Ondine dont j'entendais la voix ténue, claire et rieuse :
"Ne me donneras-tu donc jamais rien en échange ?"
De nouveau, elle proféra son impitoyable réponse lointaine :
"Rien, je ne te donnerai jamais rien ! Rien !"
Et les flots faiblement murmurèrent :
"Rien !"
Renée Vivien, sous le nom de Pauline Mary Tarn, in Le Cygne noir / The One black swan, édition bilingue, présentation, traduction : Nicole G. Albert, collection EO Classiques, ErosOnyx éditions, janvier 2018, pages 56-57.
Merci à "La Maison de Colette" d'avoir permis de reproduire, à l’intérieur du volume, et sur le site de l'éditeur, la photographie peu connue de Renée Vivien (debout) et de Natalie Barney.
Le livre, sur le site de l'éditeur - et source des photographies.
EO ÉrosOnyx Éditions : Résultats de la recherche - renée vivien
http://www.erosonyx.com/spip.php?page=recherche&recherche=ren%C3%A9e+vivien
"Renée Vivien", sur le site de l'éditeur.
Mieux connaître Renée Vivien, avec en particulier, Régine Deforges.