Élégies de Buckow
Extraits
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Si venait un souffle de vent,
Je pourrais hisser une voile.
Si nulle voile n'existait,
J'en ferais une avec des perches et des toiles.
(Trad. Maurice Regnaut)
P.8
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LE JARDIN D'AGRÉMENT
Au bord du lac, au fond des pins et des peupliers blancs,
Abrité de buissons et de murs, un jardin,
Si judicieusement semé de fleurs saisonnières
Qu'il fleurit de mars à octobre.
Ici, au petit jour, point trop souvent, je viens m'asseoir
Et je me dis : puisses-tu toujours, toi aussi,
Offrir par tous les temps, bons ou mauvais,
Telle ou telle oeuvre qui agrée.
(Trad. Maurice Regnaut)
P.10
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Poèmes ne figurant pas dans des recueils
Extraits
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ÉPITAPHE POUR ROSA LUXEMBOURG
Ici est enterrée
Rosa Luxembourg
Juive de Pologne
Qui a lutté à l'avant-garde des ouvriers allemands
Tuée sur l'ordre
D'oppresseurs allemands. Opprimés,
Enterrez vos discordes !
(Trad. Gilbert Badia et Claude Duchet)
P.37
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CONSTATATION
Quand je suis rentré
Mes cheveux n'étaient pas encore gris,
J'étais content.
Nous avons derrière nous les peines de la montagne,
Les peines de la plaine sont devant nous.
(Trad. Jean-Claude Hémery)
P.41
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FAIBLESSES
Tu n'en avais aucune
Et moi j'en avais une :
J'aimais.
(Trad. Gilbert Badia et Claude Duchet)
P.49
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MOI, JE N'AI NUL BESOIN
D'UNE PIERRE TOMBALE
Moi, je n'ai nul besoin d'une pierre tombale,
Mais si vous, vous avez besoin que j'en aie une,
Je souhaiterais qu'on y inscrive :
Il a fait des suggestions. Nous
Les avons acceptées.
Une telle inscription
Nous honorerait tous.
(Trad. Bernard Lortholary)
P.117
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LA SERRE
L'autre jour, fatigué d'arroser les arbres fruitiers,
J'ai franchi la porte ouverte de la petite serre
Où les fleurs rares ne sont plus que des vestiges
A l'ombre d'une toile déchirée.
Toute l'installation --- bois, tissu et grillage ---
Est toujours là, les liens continuent à tenir
Les tiges pâles et mortes de soif.
On voit encor les soins prodigués autrefois,
L'habileté passée. Sur le plafond de toile
Jouent les ombres des pervenches communes
Qui, vivant de la pluie, n'ont que faire de l'art.
Comme toujours : les belles plantes délicates
Ne sont plus.
(Trad. Bernard Lortholary)
P.118
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Bertolt Brecht, in Poèmes 7 (1948-1956), L'Arche éditions, 1967.
Quoi qu'on décide finalement sur Brecht, il faut du moins marquer l'accord de sa pensée avec les grands thèmes progressistes de notre époque : à savoir que les maux des hommes sont entre les mains des hommes eux-mêmes, c'est-à-dire que le monde est maniable ; que l'art peut et doit intervenir dans l'Histoire ; qu'il doit aujourd'hui concourir aux mêmes tâches que les sciences, dont il est solidaire ; qu'il nous faut désormais un art de l'explication, et non plus seulement un art de l'expression ; que le théâtre doit aider résolument l'Histoire en en dévoilant le procès ; que les techniques de la scène sont elles-mêmes engagées ; qu'enfin il n'y a pas une « essence » de l'art éternel, mais que chaque société doit inventer l'art qui l'accouchera au mieux de sa propre délivrance.
Roland Barthes
http://www.arche-editeur.com/publications-catalogue.php?auteur=30