Lorelei
Pas une nuit pour se noyer :
La pleine lune s'écoule sur le fleuve
Noir sous le doux miroir de l'eau,
Les brouillards nocturnes s'abattent
Volute après volute comme des filets de pêche
Bien que les pêcheurs soient couchés,
Les tourelles massives du château
Se dédoublent dans un miroir,
Immobilité. Cependant ces formes flottent
Vers moi troublant la face
Du silence. Venant des profondeurs
Elles s'élèvent, membres grevés
De richesse, cheveux plus lourds
Que du marbre sculpté. Elles chantent
Un monde plus plein et plus net
Qu'il est possible. Soeurs, votre chant
Pèse d'un poids trop lourd
Pour la spirale de l'oreille qui écoute
Ici, dans ce pays bien gouverné
Par un monarque équilibré.
Dérangeante harmonie
Au-delà de l'ordre du monde,
Vos voix m'assiègent. Vous logez
Sur les récifs escarpés du cauchemar
Promettant un havre sûr ;
Et le jour, un déchant aux frontières
De l'hébétude ou à la corniche
Des hautes fenêtres. Pire
Même que votre chant qui rend
Folle, votre silence. À la source
De votre appel qui glace le coeur –
Ivresse des grandes profondeurs,
Ô fleuve, je vois dériver
Dans le lit de ton flot argenté
Ces grandes déesses de paix.
Pierre, pierre, fais-moi couler tout au fond.
*
Sylvia Plath, Lorelei, in LE COLOSSE --- 1960,
in Oeuvres,
poèmes, roman, nouvelles, contes, essais, journaux,
Édition établie et présentée par Patricia Godi, annotée par Patricia Godi et Patrick Reumaux, Quarto / Gallimard, 2015, pages 225-226.
Pour LE COLOSSE : traduction de l'anglais et notices par Patrick Reumaux, présentation de Patricia Godi.
LORELEI
Poème écrit en 1958. (…)
Sujet suggéré par l'esprit nommé Pan au cours d'une séance avec la planche ouija le 3 juillet : « Parmi toutes ses remarques pénétrantes, Pan a dit que je devrais écrire un poème sur les « Lorelei » parce qu'elles sont « de ma famille ». Et aujourd'hui pour m'amuser c'est ce j'ai fait, en me souvenant de la complainte allemande que notre mère jouait et chantait pour nous, et qui commençait pas « Ich weiss nicht was soll es bedeuten... (1)». Le sujet m'attirait à double (ou triple) titre : la légende allemande des sirènes du Rhin, le symbole d'une enfance océane, et le désir de mort induit par la beauté du chant » (J, 4 juillet 1958).
In Notices, p. 268
(1). « Je ne sais ce que cela signifie... », c'est le premier vers de la Lorelei (1824) de Heinrich Heine. [AvdS]
Sylvia Plath in New York, June 1958. She is pictured at the apartment of Oscar Williams, whose archive it was recently found in at Indiana University. Photograph: Courtesy of The Lilly Library, Indiana University, Bloomington, Indiana.
Unseen Sylvia Plath poems deciphered in carbon paper
https://www.theguardian.com/books/2017/may/24/unseen-sylvia-plath-poems-deciphered-in-carbon-paper
Source de la photographie, et article, en anglais, sur l'auteure
Tulipes - Sylvia Plath - aller aux essentiels
http://allerauxessentiels.over-blog.com/2017/03/tulipes-sylvia-plath.html
Ici même, un autre poème de Sylvia Plath.