ILIAZD
Sentence sans paroles
Traduit du russe
par
André
Markowicz
Encre de Georges Braque
Eau-forte d'Alberto Giacometti
clémence hiver éditeur
1990
Bilingue
*
Extraits :
Sonnets 1, 2, 3, 7, 8 et 15
*
DANS CETTE VILLE OÙ L'AN LE JOUR MUAIENT
SI TU PASSAS TOUT JUSTE DEUX SEMAINES
NEIGES DIVISES BRUMES QUE PROMÈNENT
L'HIVER À L'OCCASION NE REFLUAIT
OU LA MÉMOIRE FAUVE CONSPUAIT
OU POUR NOS VIEUX ANCÊTRES NOTRE HAINE
À VIVRE EN RÊVE PAS EN VIE HUMAINE
À NOUS DISSOUDRE D'UN RÉVEIL FLUET
RIEN À TOUCHER À VOIR ET GUÈRE À DIRE
QUE L'ART EST GLAUQUE ET LA PAROLE PIRE
TOURNONS LA PAGE L'ÂME EST AUX ABOIS
NI D'AUTRES COMMENTAIRES TU DÉCIDES
J'ENTRE À JAMAIS DANS CETTE CHAMBRE VIDE
LIBRE DE CRAINTE TU POURSUIS MA VOIE
*
LIBRE DE CRAINTE TU POURSUIS MA VOIE
EN ROUTE VILE AU BORD D'UN PRÉCIPICE
OÙ DES CHEVAUX NOCTURNES RETENTISSENT
UN FLEUVE ENFOUI ARMURE COL ÉTROIT
TES MOTS SONT ÉTOUFFÉS SUR LES PAROIS
DE GLACE LUNE ABRUPTE SUBREPTICE
ILS COUVRENT NOIRS LES PIERRES QU'ILS NOIRCISSENT
CRINIÈRES DES FORÊTS DES ROCHES VIVES
LE MUR BOUILLANT ENGLOUTIRA LA NUIT
RÉPERCUTANT UNE AUBE VACILLANTE
PRÉCIPITÉE DANS UNE VIE SANS RIVES
LA VIEILLE MORT T'ABSOUT POUR AUJOURD'HUI
PEUT-ÊTRE PAS FINALEMENT CONSCIENTE
*
PEUT-ÊTRE PAS FINALEMENT CONSCIENTE
RECOUVRE-MOI OUBLIE JE NE SUIS PLUS
RIEN DANS L'ÉTÉ POURRI QU'AURA VOULU
DAME-NATURE NOTRE MÈRE ET TANTE
L'AUBE MOISIE FAYOTE SUR LES SENTES
DÉPIAUTE LES DÉPOUILLES DU RECLUS
LES PLUMES DU PIVERT LE JOUR S'EST PLU
FAISANT LA BELLE REINE DÉFICIENTE
LA CRUCHE LE RAISIN LE PAIN PORTÉ
DONT LE PIÉTON PERPÉTUA L'USAGE
RUINES DES DIEUX LA TERRE AUX VIEILLES LOIS
LE CIEL S'EFFACERA DE L'ŒIL BLEUTÉ
NE DÉCOUVRANT NI LARMES NI NUAGES
INAPTE À MAÎTRISER LE GOUFFRE TOI
*
(…)
*
POUR L'INDICIBLE CLÉS D'ÉNIGMES LENTES
LA ROUTE EN FER NOUS MÈNE MÈNE LOIN
LA CANNE D'ENCRE NE SOULAGE POINT
LA PAGE AURA SON POIDS LA VIRULENTE
L'AUTOMNE L'ÉTRANGÈRE LA DÉMENTE
LAISSE ENVOLÉS LES BATAILLONS TÉMOINS
NUAGES GRISONNANTS SON TRISTE SOIN
DÉMÊLE FAIT DES NATTES PARLEMENTE
TU PRÉFÉRAS LA GUERRE AUX CŒURS SOUILLÉS
ET L'INCOMMENSURABLE QUENOUILLÉE
TENDRESSE MA FILEUSE CLANDESTINE
S'AFFOLE EN PLAINE ASSASSINÉE SANGUINE
JE SORS DE CETTE VIE DE PÉKINOIS
SENTENCE SANS PAROLES VIENT TA VOIX
*
SENTENCE SANS PAROLES VIENT TA VOIX
SOIT EN FURIE SOIT BÉNISSANT LES CHOSES
VENT DES COLLINES QUI LA TEINT DE ROSE
ET LUI MIROITE LE RUISSEAU PANTOIS
HÉRAUTS D'HIVER EN MARCHE DANS LES BOIS
ROSSIGNOLANTES SANS MÉTAMORPHOSES
MES TEINTES S'ÉPARPILLENT SE DÉPOSENT
SAPINS DE L'ENCRE HÊTRES QUI POURPROIENT
TOI SATISFAITE DE LA ROUTE TROUBLE
TU FAIS LA FIÈRE MAIS TON JEU EST DOUBLE
LÉGÈRE UN VENT FRIVOLE ADIEU S'ASSEOIR
AU SEUIL MAUVAIS DE LA TAVERNE SOIR
SI VOUS SAVIEZ SI SI JE SUIS MÉCHANTE
ET JE MOISSONNE LES SAISONS COUCHANTES
*
(…)
*
LIBRE DE CRAINTE TU POURSUIS MA VOIE
PEUT-ÊTRE PAS FINALEMENT CONSCIENTE
INAPTE À MAÎTRISER LE GOUFFRE TOI
DORÉNAVANT NI MORTE NI VIVANTE
SUIVANT LES DIRES BLEUS DES ASTRES FROIDS
POUR L'INDICIBLE CLÉS D'ÉNIGMES LENTES
SENTENCE SANS PAROLES VIENT TA VOIX
ET JE MOISSONNE LES SAISONS COUCHANTES
DE FLAMME DROITE LE REFLET CHANGEANT
LA NUIT DONNE À MON OMBRE SA MATIÈRE
DANS LES MURAILLES ET LES MURS MUETS
JE TE CHERCHAIS AVEUGLE CHEZ LES GENS
TOI QUI DELÀ LES ÂGES LES FRONTIÈRES
DANS CETTE VILLE OÙ L'AN LE JOUR MUAIENT
*
Dans la postface à cette édition, il est expliqué que pour cette couronne de sonnets, dont les premiers brouillons datent de 1946, Iliazd eut souhaité la collaboration de Matisse. Dans une lettre qu'il lui adresse pour présenter son projet, je relève cet extrait : « J'ai décidé […] à faire une Couronne de sonnets dont je vous envoie ici quelques pages et la mise.
Vous connaissez sans doute cette forme poétique, une des plus difficiles à faire. Elle consiste en quatorze sonnets où le vers initial de chacun n'est que la reprise du dernier vers du sonnet précédent. Les vers terminaux de ces sonnets doivent former aussi un sonnet : le quinzième. (…) »
La postface se termine ainsi :
« Le livre ne se fera pas avec Matisse, décédé en 1954. Cependant le travail sur la Couronne se poursuit sans interruptions visibles jusqu'à la publication du livre, en 1961.
L'édition originale comporte une encre de Braque gravée sur le parchemin de couverture, et un portrait d'Iliazd par Giacometti, choisi parmi les treize que celui-ci avait exécutés à sa demande.
Iliazd, regrettant de ne pas les avoir inclus tous les treize dans son livre, procura l'année suivante une édition° à part des douze portraits non retenus pour le frontispice de 'Sentence sans paroles'. »
° 'Les douze portraits du célèbre Orbandale, pris sur le vif et gravés à l'eau-forte par Alberto Giacometti '. Paris. 1962. Tirage à 40 exemplaires.
*
À propos d'Iliazd, et également de ce recueil Sentence sans paroles, voici un post d'André Markowicz, le traducteur, post daté du 20 février 2016 que j'ai relevé sur Facebook – Voyez le lien vers cette page Facebook ci-dessous – Sur cette même page d'ailleurs, si vous tapez Iliazd dans « Recherche », vous pourrez lire d'autres extraits inédits d 'Afat -.
« #Iliazd
Afat, sonnet daté du 2 janvier 1938
La paume humide d’inutiles clés
------la perte est là j’y suis je temporise
------ vous êtes loin la nuit étincelée
------je sais la chose sans l’avoir comprise
J’écoute cœur hésite à t’emballer
------le moindre écho l’espoir et la surprise
------mais les étoiles seules vont siffler
------pour elles-mêmes jusqu’à l’aube grise
Chaque heure me bécquette jour à jour
------je tiens crierais-je qui pour mon secours
------je fais survivre quelques frêles fleurs
Je garde un habitat de somnolence
------où ce reflet froissé votre splendeur
------des toiles blanches garde le silence
*
Je publie régulièrement ici, depuis février 2014..., des textes d'Ilia Zdanévitch, Iliazd. J'ai traduit la majeure partie de ses poèmes. Deux livres ont été publiés, il y a plus de vingt-cinq ans chez Clémence Hiver : La Lettre (dont j'ai publié un extrait ici, le 30 octobre dernier, et Sentence sans paroles, une couronne de sonnets... qui est un peu trop long pour que je le reprenne ici. Ces deux livres sont épuisés depuis très, très longtemps, et Afat, suite de 72 sonnets avec illustrations de Picasso, ne trouve pas d'éditeur depuis plus de dix ans. Et personne ne connaît, donc. Et je voudrais qu'on connaisse. »
André Markowicz a traduit Dostoïevski, Tchekhov, Pouchkine, et même le chinois – à partir d'autres traductions, dont le russe -, et a publié, aux éditions Inculte, deux livres :
Ombres de Chine
Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue
Choix, traduction et commentaire André Markowicz
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Un an de chroniques de Facebook (juin 2013-juillet 2014)
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