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L'atelier Poésie de Martine Cros


Italies Fabulæ - [Parmi les lys d'eau, Alfea] - Angèle Paoli

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 7 Septembre 2017, 14:15pm

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures, #Angèle Paoli, #Italies Fabulæ

Piero della Francesca, La Madonna del Parto, détail, v. 1455, Museo della Madonna del Parto, Monterchi.

Piero della Francesca, La Madonna del Parto, détail, v. 1455, Museo della Madonna del Parto, Monterchi.

 

 

 

 

Angèle Paoli

 

Italies Fabulæ

 

récits

 

 

Collection

Récits & Nouvelles

Éditions AL MANAR

 

Postface

Isabelle Lévesque

 

 

 

 

Parmi les lys d'eau, Alfea

 

 

 

 

 

Extraits, pages 9 & 11-13

 

 

 

 

Te souviens-tu de la Madonna del Parto ? Murmure une voix derrière son épaule. La « Madonna » de messer Piero ? La Madone en robe de velours bleu ? Oui, celle qui pose sa main sur son ventre rond, écarte d'un doigt le plissé du tissu, regard baissé vers l'enfant qu'elle porte et qu'elle sent bouger en elle. Je me souviens des deux anges qui tirent les rideaux d'un dais de théâtre pour lui permettre de prendre place. Sur les devants de la scène, sans doute. Une scène intérieure. Sans parole. Muette. Où était-ce ? Quelque part en Toscane. Dans un petit village un peu à l'écart. Nous avions découvert une première fois la fresque de messer Piero dans une chapelle de cimetière. C'était à Monterchi, je crois. N'était-ce pas le village d'origine de la mère de Piero ? Romana di Perini ? Oui, peut-être. Je ne sais plus. Et ensuite? Ensuite, beaucoup plus tard, nous avons déjeuné dans une auberge. Une auberge de chasseurs, modeste et un peu triste, comme ce village dont l'unique trésor est cette peinture, protégée, jalousement gardée, surveillée. Comment la Madonna del Parto avait-elle échoué là ? C'est de tout cela que nous avions parlé, de ce mystère. Qui n'en est peut-être pas un. Piero avait sans doute voulu rendre hommage à donna Romana,sa mère.

 

 

 

Piero della Francesca, La Madonna del Parto, v. 1455, Museo della Madonna del Parto, Monterchi.

Piero della Francesca, La Madonna del Parto, v. 1455, Museo della Madonna del Parto, Monterchi.

 

 

 

[…]

 

 

Et Alfea ? Te souviens-tu de ce matin où tu as fait la rencontre d'Alfea, dans le parc de la villa ? Une vague de fond, un innamoramento d'une violence imprévisible, vous avait emportées l'une l'autre. Votre passion réciproque avait tout balayé alentour. Le paysage solaire vous enveloppait, qui vous rendait aveugles. Plus rien ni personne ne comptait. Ni pour elle ni pour toi. Je me sentais remisé. Loin très loin hors de votre cercle de lumière. Elle t'appelait amore. La rondeur du mot sur ses lèvres te faisait trembler. Tu en étais bouleversée. Vous vous teniez dans la présence l'une de l'autre. Sans oser le moindre geste. Sans tenter la moindre approche. L'amour qui vous aimantait n'osait aller au-delà des mots. Vous étiez comme deux jeunes vierges , enveloppées d'une virginité nouvelle, inconnue. On eût dit que vous échangiez les mêmes battements de sang, les mêmes palpitations de l'âme. Tu étais éblouissante de jeunesse, belle et désirable dans l'éclat de tes trente ans. Je te convoitais du regard. Mon désir se trouvait attisé par celui, silencieux, qu'elle te portait. Sa beauté à elle était une beauté farouche de femme mûre. Elle t'attirait, je le voyais, dans des rets dont tu ignorais tout des linéaments, des nodosités, des entrelacs. Vous vous teniez l'une et l'autre au-delà des mots, au-delà des gestes de l'amour.

 

 

 

Elle portait un prénom étrange qui la rendait inaccessible. Un prénom de fleuve mâle. Un fleuve de Sicile irradié d'une aimantation mythique dont le sens nous échappait. Elle s'appelait Alfea. Elle était l'amant éconduit de la nymphe Aréthuse. Condamné par Diane à fuir dans des eaux volubiles. Inlassablement. Alfea souffrait d'un mal inconnu et secret. Tu respectais son silence. Ensemble, vous vagabondiez en riant, défiant les mamelons des collines. Je vous voyais courir jusqu'au petit bois de pins stridulant, crissant du grésillement des cigales. La nuit, vous rêviez encore le long de sentiers odorants qui vibraient du scintillement des lucioles. Elle te parlait de l'île d'Elbe où elle séjournait pendant ses vacances. Tu lui parlais de la Corse où tu terminerais les tiennes. L'idée d'une séparation prochaine attisait votre désir. Inutilement. Avec notre départ, Alfea disparut. Des lettres passionnées restèrent sans réponse.

 

 

 

 

Bien des années plus tard, à Syracuse, je m'en souviens comme si c'était hier, tu t'es rendue auprès d'une source tapie au creux des joncs. C'était à Ortygia. La source de la nymphe Aréthuse. Tu es restée là, longtemps, absorbée dans la contemplation des reflets d'eau. De cette onde à peine mouvante a surgi le visage d'Alfea. Intact. Tu as murmuré des mots d'adieu que la nymphe a emportés avec elle.

 

 

Une écharde, à peine.

Parmi les lys d'eau.

 

 

 

 

 

« Disparaître pour réapparaître. Les personnages, transformés par leur voyage, leurs rencontres et découvertes sont mêmes et autres. Alors le récit cède à la confidence de l'âme. »





Isabelle Lévesque, in Postface, page 85

Italies Fabulæ - [Parmi les lys d'eau, Alfea] - Angèle Paoli
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