JULIETTE BINOCHE
PORTRAITS
IN-EYES
préface – foreword
Jean-Michel Frodon
Éditions
Place des
Victoires
2008
bilingue
français-anglais
Les températures, les émotions à atteindre, les résistances physiques font partie de la vie d'acteur, j'ai jeté sur le papier ce qu'il me reste, ce qui surgit malgré moi, ce que j'ai aussi souhaité. Ce n'est pas définitif, c'est la captation d'un moment de vie, d'une perception subjective et fugitive. La technique est venue avec l'envie de peindre, sans a priori. Quant à l'écriture, ce sont des mots adressés aux réalisateurs, comme un film peut l'être à son acteur, avec le choix des prises, des angles, des voix. Certains poèmes sont écrits aux « filmeurs », d'autres sont en relation directe avec les personnages que j'ai joués. […]
The heat, émotion, physical resistances are part of an actor's life, I've thrown on paper what was left, what rose in spite of myself, what I wished for. None of it is definitive, it's a captured moment, a subjective and fleeting perception. Technique came with the desire to paint, without preconceptions. As for writing, these words are addressed to directors, as a film can be to an actor through the choice of shots, angles and voices. Some poems are written to the « filmers », others are in direct relation to the characters I've played. […]
J B
Juillet – July 2008
JACQUES DOILLON
j'ai déchiré la peau de l'enfance
donnant ma vie à battre
j'étais à sauver, prête
tu as pêché mon acier intérieur
séduction protectrice
des désirs pas comme il faut
j'étais l'annonciatrice
d'une femme à venir
stripping childhood skin
giving my life for the battle
I was for the saving, ready
you found my inner steel
protective seduction
forbidden desires
heralding the woman I was to be
Natacha
La Vie de famille – Family Life
1985
Pages 20-21 et portraits pages 22-23
LÉOS CARAX
suffocant je cherche l'autre souffle
celui qui emporte dans la réalité des rêves
on s'accroche, on se brise, on renaît
chaque plan est un pas dans l'espace béant
notre jeunesse provoque
nuits dans les rues, mon sac tire, mes yeux troublent
je rentre dans l'être des misères
je veux être l'autre
et marquer à jamais ma vie
il n'y a pas d'étranger pour l'étranger
traits tirés sur visage et feuilles à dessiner
choking I search for the other breath
which surrenders to the reality of dreams
we cling, we shatter, we're reborn
each shot is a step in an open space
our youth provokes
nights on the streets, my bag pulls, my eyes blur
I enter into the being of miseries
I want to be the other
and forever mark my life
there is no stranger for the stranger
features taut and sheets to draw
Michèle Stalens
Les Amants du Pont-Neuf – The Lovers on the Bridge
1991
Pages 40-41 et portraits pages 42-43
DIANE KURYS
G.S.
soie froissée, lin coupé, taffetas emmêlé
main qui donne sur le papier
les encres de ta déchirure,
taches indélébiles, pupilles foncées
font ressortir ton âme victorieuse
je te lis, je te vis
ton masculin enfourche sans vergogne
tu as la femme du lendemain
connaissance innée, stupeur joyeuse
je te sens encore
G.S.
rumpled silk, cut linen, tangled taffetas
hand which gives on paper
the inks of your tear,
indelible stains, dark pupils
bring out your victorious soul
I read you, I live you
your masculine mounting unabashedly
you have the woman of tomorrow
innate knowledge, joyous stupor
I still feel you
George Sand
Les Enfants du Siècle – Children of the Century
1999
Pages 76-77 et portraits pages 78-79
Note :
Voici un livre émouvant de Juliette Binoche, qui signe les poésies et les oeuvres picturales, un livre de 158 pages paru aux éditions Place des Victoires en 2008.
La traduction des poèmes vers l'anglais est de Laurent Gorse, celle des autres textes vers l'anglais, de Deke Dusinberre.
Pour chaque long-métrage, Juliette expose un poème, puis le portrait du/de la « filmeur/euse », et un « autoportrait ». Ces « autoportraits » émanent du souvenir émotionnel du rôle qu'elle a interprété. Ils nous traversent de leur force.
Ce que J B peint, ce qu'elle écrit, est « une autre manière de murmurer, de chantonner ou de crier ce qu'elle se souvient avoir vécu, espéré, redouté, ressenti, imaginé, en faisant le film. », explique Jean-Michel Frodon dans la préface ; « la composition de chaque triangle -deux portraits et un poème – est une tentative de comprendre et de partager ».
Dans sa post-face, nommée « Remerciements », J B mentionne tous les êtres rencontrés autour de ce projet mais aussi dans sa vie de comédienne, qui font passer « l'envergure artistique avant [leurs] intérêts », ces « inspirations sur pieds », ceux qui ont cru en ses « croquis, toiles, encres et gribouillis », en particulier Jean-Michel Frodon qui lui avait commandé sept portraits pour les Cahiers du Cinéma dont il est rédacteur en chef. Et lorsqu'elle dit : « Ton regard me porte, j'ai envie de t'étonner comme on s'étonne à vivre. », alors la profondeur des mots et des visages peints prend cette perspective.
/MC\12/7/17
Sketches for a Portrait (2009), Directed: Marion Stalens
Source de la photographie ci-dessus---et une interview de Juliette Binoche, en anglais, de 2013