Ariel
Un moment de stase dans l'obscurité.
Puis l'irréel écoulement bleu
Des rochers, des horizons.
Lionne de Dieu,
Nous ne faisons plus qu'un,
Pivot de talons, de genoux! -- Le sillon
S'ouvre et va, frère
De l'arc brun de cette nuque
Que je ne peux saisir,
Yeux nègres
Les mûres jettent leurs obscurs
Hameçons --
Gorgées de doux sang noir --
Leurs ombres.
C'est autre chose
Qui m'entraîne fendre l'air --
Cuisses, chevelure ;
Jaillit de mes talons.
Lumineuse
Godiva*, je me dépouille --
Mains mortes, mortelle austérité.
Je deviens
L'écume des blés, un miroitement des vagues.
Le cri de l'enfant
Se fond dans le mur.
Et je
Suis la flèche,
La rosée suicidaire accordée
Comme un seul qui se lance et fonce
Sur cet oeil
Rouge, le chaudron de l'aurore.
Pages 43-44
In Notes, en fin de recueil :
→ Le poème Ariel a été écrit le jour des trente ans de Sylvia Plath.
→ L'ordre dans lequel Sylvia Plath avait composé le recueil Ariel est donné, puis : «(…) Cet Ariel-là qui, selon le désir de son auteur, commençait avec le mot « amour » et finissait avec « printemps » a récemment paru à Londres chez Faber & Faber, édité en fac-similé par la fille de Sylvia Plath, Frieda Hughes. La présente traduction est celle de l'édition de Faber qui fait autorité depuis 1965. On pourrait imaginer un troisième Ariel, lequel réunirait tous les poèmes écrits entre octobre 1962 et janvier 1963, aux derniers mois de la vie de Plath : période de créativité intense où le génie s'exprime comme jamais.» (Page 107)
&
* « On trouve la légende de lady Godiva dans les Flores Historiarum de Roger de Wendower, chroniqueur anglais du XIIIe siècle. Le Petit Robert précise : « Femme d'un comte de Chester au XIe siècle, elle aurait demandé vainement à son mari d'alléger les impôts qui écrasaient la population de Coventry. Le comte Leofric n'accepta qu'à la condition étrange que son épouse traversât la ville entièrement nue. Ce qu'elle fit à cheval, sauvegardant peut-être la décence grâce à sa longue chevelure. Ce récit est resté célèbre dans les pays de culture anglaise.(...) » (Page 108/109)
Les danses nocturnes
Un sourire est tombé dans l'herbe.
Irrattrapable!
Et tes danses nocturnes, où iront-elles
Se perdre. Dans les mathématiques?
De tels bonds, des spirales si pures –
Cela doit voyager
Pour toujours de par le monde, je ne resterai donc pas
Totalement privée de beauté, il y a ce don
De ton petit souffle, l'odeur d'herbe
Mouillée de ton sommeil, les lys, les lys.
Leur chair ne tolère aucun contact.
Plis glacés d'amour-propre, l'arum,
Le tigre occupé de sa parure –
Robe mouchetée, déploiement de pétales brûlants.
Tes comètes
Ont un tel espace à traverser,
Tant de froid et d'oubli.
Alors les gestes se défont –
Humains et chauds et leur éclat
Saigne et s'émiette
À travers les noires amnésies du ciel.
Pourquoi me donne-t-on
Ces lampes, ces planètes
Qui tombent comme des bénédictions, des flocons –
Paillettes blanches, alvéoles
Sur mes yeux, ma bouche, mes cheveux –
Qui me touchent puis disparaissent à tout jamais.
Nulle part.
Pages 32-33
Sylvia Plath,
Ariel & Les danses nocturnes,
Deux poèmes extraits de Ariel,
Présentation et traduction de Valérie Rouzeau,
nrf, Poésie / Gallimard, 2009.
*
Ariel... esprit de l'air de La Tempête de Shakespeare que vénérait Sylvia, cheval blanc qu'elle montait aux derniers mois de sa vie, après le départ de son époux, le poète Ted Hughes. (…)
Sylvia Plath donne avec Ariel le meilleur de son art. Véritable élévation, révélation, ces poèmes ont pour la plupart été écrits entre octobre 1962 (après le départ de Ted Hughes) et février 1963 --- les derniers écrits sont datés du 5 février, il s'agit des poèmes « Balloons » (« Ballons ») et « Edge » (« Extrémités »). Sylvia est morte le 11. Elle avait dans un classeur noir rangé les poèmes dans un ordre différent de celui pour lequel opta Ted Hughes (…) Sylvia avait beaucoup hésité sur le choix du titre : Daddy; A Birthday Present...? L'oeuvre étant encore en chantier lorsqu'elle quitta ce monde, on ne peut dire ce qu'elle aurait gardé, ce qu'elle aurait écarté, modifié, quel Ariel finalement aurait vu le jour.
Valérie Rouzeau, in: avant-propos, in Ariel, présentation et traduction de Valérie Rouzeau, nrf, Poésie / Gallimard, 2009, extrait pages 8-9.
Tableau---détails--- OR II ---en cours, le poème "Ariel" devant être inclus dedans---, Martine Cros, acrylique & craies pastels sur toile.