*
An den Knaben Elis
Elis, wenn die Amsel im schwarzen Wald ruft,
Dieses ist dein Untergang.
Deine Lippen trinken die Kühle des blauen Felsenquells.
Lass, wenn deine Stirne leise blutet
Uralte Legenden
Und dunkle Deutung des Vogelflugs.
Du aber gehst mit weichen Schritten in die Nacht,
Die voll purpurner Trauben hängt
Und du regst die Arme schöner im Blau.
Eine Dornenbusch tönt,
Wo deine mondenen Augen sind.
O, wie lange bist, Elis, du verstorben.
Dein Leib ist eine Hyazinthe,
In die ein Mönch die wächsernen Finger taucht.
Eine schwarze Höhle ist unser Schweigen,
Daraus bisweilen ein sanftes Tier tritt
Und langsam die schweren Lider senkt.
Auf deine Schläfen tropft schwarzer Tau,
Das letzte Gold verfallener Sterne.
Georg Trakl, A l'enfant Elis, 1913, in Die Dichtungen - première édition : Drucklegung bes. von Karl Röck, Leipzig, 1919.
À l'enfant Elis
Elis, l'appel du merle au coeur de la forêt
Sonne ta perte.
Tes lèvres boivent la fraîcheur à la source bleue des rochers.
Souffre qu'à ton front saignent doucement
D'antiques légendes
Et le présage obscur des vols d'oiseaux.
Mais tu marches à pas légers dans la nuit
Suspendue et pleine de raisins pourpres,
Et tes bras sont plus beaux qui bougent dans le bleu.
Un fourré de ronces chante
Où sont tes yeux couleur de lune.
Elis, oh il y a si longtemps que tu es mort.
Ton corps est une jacinthe
Où un moine enfonce des doigts de cire.
Notre silence est une grotte obscure,
Parfois il en sort une bête douce
Qui clôt ses lourdes paupières avec lenteur.
À tes tempes goutte une rosée noire,
Le dernier or des étoiles perdues.
P. 31, Georg Trakl, Vingt-quatre poèmes, préface et traduction de Gustave Roud,
Editions La Délirante, 1996.
*
Au jeune Elis
Elis, quand dans la profonde forêt le merle appelle,
C'est que tu sombres.
Tes lèvres boivent la fraîcheur de l'eau bleue des roches.
Laisse, quand saigne ton front,
Les très vieilles légendes
Et le sens obscur du vol de l'oiseau.
Toi cependant tu vas à pas doux dans la nuit
Tendues de grappes empourprées
Et tes bras dans le bleu ont des gestes plus beaux.
Tinte un buisson d'épines
Où sont tes yeux de lune.
Comme il y a longtemps, Elis, que tu es mort.
Ton corps est devenu jacinthe,
Un moine y plonge ses doigts de cire.
Notre silence est un trou noir
D'où sort de temps en temps une bête très douce
Qui laisse lourdement retomber ses paupières.
Sur tes tempes tombe une rosée noire,
Le dernier or d'étoiles abîmées.
P. 27, Georg Trakl, Vingt poèmes, traduits et présentés par Guillevic,
Éditions Obsidiane, 2015.
*
À l'enfant Elis
Elis, lorsque le merle chante au bois noir,
Proche est ta fin.
Tes lèvres boivent la fraîcheur de la source bleue des rochers.
Qu'importe, si de ton front saignent sans bruit
D'antiques légendes
Et les obscurs présages du vol des oiseaux.
Toi, pourtant, tu t'en vas à pas feutrés par la nuit
Qui plane, pleine de raisins pourpres,
Et tes bras font des gestes plus beaux dans l'azur.
Au fond d'un fourré de ronces qui chante
Reposent tes yeux lunaires.
Ô qu'il y a longtemps, Elis, que tu es mort.
Ton corps est une jacinthe
Dans laquelle un moine plonge ses doigts de cire.
Notre silence est une caverne ténébreuse ;
Il en sort parfois une douce bête
Qui, lentement, ferme ses lourdes paupières.
Sur tes tempes coule une rosée noire :
L'or ultime d'étoiles mortes.
P. 35, Georg Trakl, Rêve et folie & autres poèmes, suivi d'un choix de lettres,
Traum und Umnachtung & andere Gedichte, présentation et traduction :
Henri Stierlin - pour la poésie - et traduction : Monique Silberstein – pour les lettres -,
Éditions Héros-Limite, Genève, 2009.
*
À l'enfant Elis
Elis, lorsque le merle lance son appel dans la sombre forêt
Ceci est ton déclin.
Tes lèvres boivent la fraîcheur de la source bleue des rochers.
Qu'importe si de ton front saignent sans bruit
D'antiques légendes
Et l'obscur présage du vol des oiseaux.
Toi, pourtant, tu t'enfonces à pas feutrés dans la nuit
Qui plane, pleine de raisins pourpres,
Et tes bras font des gestes plus beaux dans l'azur.
Au fond d'un fourré de ronces qui chante
Reposent tes yeux lunaires.
O il y a si longtemps, Elis, que tu es mort.
Ton corps est une jacinthe
Dans laquelle un moine plonge ses doigts de cire.
Notre silence est une noire caverne.
Il en sort parfois une douce bête
Qui, lentement, baisse ses lourdes paupières.
Sur tes tempes coule une rosée noire,
L'or ultime d'étoiles mortes.
P. 353, in Situation de Georg Trakl, Biographie, étude et traduction des poèmes par Jean-Michel Palmier*, Éditions Belfond, seconde édition : 1987.
* Jean-Michel Palmier précise p.14 , dans l'introduction à la première édition (1972) de son étude:
"(…) Il en est de même pour les traductions. Nous nous sommes le plus souvent efforcé d'être le plus fidèle possible au texte allemand et on pourra sans doute relever de nombreuses maladresses dans plusieurs d'entre elles. Nous sommes persuadé que les premiers à nous les pardonner seront ceux qui ont tenté de traduire Trakl, de faire passer toute la complexité des nuances de sa langue poétique, de son univers de couleurs, en français. Nous nous sommes proposé ici de faire seulement quelques pas dans cet univers."
Dessin : Martine Cros,
Autoportrait à l'enfant Elis,
crayon de couleur bleu, encre de chine noire et feutres fins,
sur papier Figueras.