Anna Akhmatova
Elégies
Traduction
Christian Mouze
Les éditions
Harpo &
2012
Bilingue russe / français
4
Haut pouvoir
Du son le plus pur,
Telle, la séparation
S'en donne à coeur joie.
Les édifices bien connus
Depuis la mort regardent --
Plus triste cent fois que tout
Sera le rendez-vous,
Plus triste qu'autrefois
Avec moi...
Par ma ville crucifiée,
Je rentre à la maison.
In En route par toute la terre
Heureux qui visita ce monde
Dans ses minutes fatidiques.
Tiouttchev
Telle une rivière
Ces temps sombres m'ont détournée,
Ils m'ont dérobé la vie. Dans un autre lit
Elle s'est mise à couler
Et je ne connais plus les rives.
J'ai manqué tant de spectacles,
Le rideau se levait sans moi,
Sans moi il retombait. Combien d'amis
N'ai-je jamais rencontrés,
Combien de villes, leur forme,
De mes yeux auraient pu tirer les larmes.
Je ne connais qu'une ville au monde,
Je la trouverais à tâtons dans le sommeil.
Combien de poèmes n'ai-je pas écrits,
Leur choeur mystérieux erre autour de moi
Et peut-être qu'un jour
Il va m'étouffer...
Je connais le commencement et la fin,
La vie après la fin et un je ne sais quoi
Que maintenant je ferais mieux de taire.
Une femme a pris ma place -- cette place unique --,
Elle porte mon nom,
Me laisse un sobriquet
Avec lequel je fais tout mon possible.
Ce n'est pas moi, hélas, qui serai couchée dans ma tombe.
Cinquième élégie, In Elégies du Nord
3. A mes vers
Vous alliez par les chemins impraticables,
Comme dans les ténèbres tombe une étoile.
Vous fûtes amertume et mensonge,
Consolation -- jamais.
8.
... Et dans ce courant d'air
Disparaissent sentiments et pensées...
Même l'art éternel
Aujourd'hui se retrouve délesté !
In Un chapelet de quatrains
Si tu étais musique,
Je t'écouterais sans me lasser,
Et mon esprit sombre brillerait.
Si tu étais une étoile,
Je regarderais à la fenêtre jusqu'à l'aube,
Et la paix entrerait dans mon âme.
Si tu étais ma femme,
Tout à coup je te prendrais en grippe,
Trois fois te maudirais et t'oublierais pour la vie.
Et je serais heureux infiniment avec une autre.
Mais cela n'est pas, c'est pas ça,
Pas de tierce...
Que faire avec elle ?
Elégies de mars, février 1959, in Autour des élégies du Nord
Il y a dans "En route", dans les "Elégies" ce sol commun d'une âme et de la mémoire collective et ce manteau des mots partagés avec son peuple ( "là où mon peuple était" écrivait-elle déjà dans le "Requiem") pour aller par les rigueurs du siècle. Chaque poème d'Akhmatova est une scène intimiste et sociale, un jeu de reflets des êtres, des heures, des objets, du souvenir, de leur passage, de leur interrogation, de leur destruction. Un théâtre de toute la vie de tous.
Christian Mouze,
le traducteur,
in "Un chant invaincu"
- postface -
Note :
Nous avons entre les mains un livre qui relève d'un très beau geste éditorial. Imprimé en 2012 sur les presses d'Harpo &, composé sur linotype, bilingue (le russe est en noir, le français est en rouge brique), il intègre une série de 13 recueils de la poétesse dans le cadre d’une entreprise de publication de ses œuvres complètes (même éditeur, même traducteur).
J'ai relevé -- sauf étourderie -- :
- Amedeo Modigliani, 2000
- Anno Domici MCMXXI, 2006
- Le roseau, 2007
- Auprès de la mer, 2009
- Poème sans héros, 2009
- La guerre, 2010
- Le plantain, 2010
- Volée blanche, 2011
- Elégies, 2012
- Secrets de fabrication / Derniers cycles, 2014
- Soir, 2014
- Mandelstam, 2015
- Rosaire, 2016 (Août)
Martine Cros
Critiques, citations, extraits de Elégies de Anna Akhmatova.
Les éditions Harpo &, sur Babelio.com
Les éditions Harpo &, à La procure
par Christophe Mescolini Elle se souvient d'un jeune homme maigre de 17 ans, aux longs cils, au port de tête singulier, dans la " Tour " d'Ivanov. Elle se souvient d'un interlocuteur spirituel ...
Sur trois autres recueils des éditions Harpo &.