GERTRUD KOLMAR
MONDES POÈMES
Édition bilingue établie, postfacée
et traduite de l'allemand par
Jacques Lajarrige
AUTOUR DU MONDE SEGHERS 2001
Extrait I
Pages 26-31
LA LICORNE
La magnificence des paons,
Bleue, verte et dorée, fleurit au crépuscule
D'un tropical tohu-bohu des cimes, et des singes gris
Montrèrent leurs dents et se querellèrent, se balancèrent,
se bagarrèrent dans les lianes.
Le grand tigre, dos creux, brandit ses griffes, se figea, se retint,
Lorsque l'étrange gibier muet s'enfuit à travers
ses champs indiens,
Vers l'ouest, en direction de la mer.
La licorne.
Ses sabots battirent légèrement
Les flots, comme par jeu. Les vagues se cabrèrent,
Arrogantes,
Et elle suivit la course hennissante du troupeau à crinière d'argent
qui sautait et caracolait.
Au-dessus d'elles
Un vol de cigognes noires écrivit en hâte d'énigmatiques signes dans le
ciel d'Arabie.
Lequel avec son soleil couchant offrait une coupe de fruits :
Poires jaunes, pommes rougies,
Pêche, orange et raisins flamboyants,
Tranches de melons mûrs.
Des rochers noirs rougeoyaient au crépuscule,
Couleur améthyste, blanches,
Des forteresses s'embrasaient, châteaux enchantés de cornaline et
de topaze.
Des brumes de roses surplombaient au soir les eaux de la baie
plongées dans une obscurité couleur pigeon.
La licorne.
Ses sabots soulevèrent des tourbillons de sable
Qui se dispersa sans bruit. Elle vit
Des villes solitaires, livides, leurs coupoles et leurs minarets et les
pierres des champs funéraires,
Muettes sous le tintement de la lune.
Elle vit
Des ruines, des lieux abandonnés, habités par les seuls esprits,
dans les ténèbres étincelantes
Sous des astres froids.
Une fois, la chevêche appela,
Et au loin les chacals hurlèrent leur plainte ;
Des hyènes rirent.
À l'entrée de la tente, sous le dattier,
Le blanc dromadaire syrien leva, rêveur, sa petite
tête, et sa cloche tinta.
Passé la licorne, passée.
Car ses pas légers et rapides venaient de très loin, du
pays de l'or, Ophir,
Et dans ses yeux scintillaient les regards des serpents à qui
la flûte du charmeur ordonne de sortir des corbeilles, d'onduler
et de danser ;
Pourtant la corne oblique au milieu de son front diffusait une lumière
plus douce aux reflets laiteux
Sur les mains nues et les seins mollement voilés
de la femme
Qui se trouvait là
Parmi les tamaris à manne.
Pour tout salut :
Son humilité
Et le paisible éclat de ses profonds yeux en attente
Et un chuchotement, murmure doucement jailli de sa bouche. –
Fontaine dans la nuit.
DAS EINHORN
Der Pfauen Pracht,
Blau, grün and gülden, blüthe in Dämmerung
Tropischer Wipfelwirrnis, und graue Affen
Fletschen und zankten, hangelten, tummelten, balgten
sich im Geschlinge.
Der grosse Tiger, geduckt, zuckte die Kralle, starrte, verhielt,
Als das stumme seltsame Wild durch seine indischen
Wälder floh,
Westwärts zum Meere.
Das Einhorn.
Seine Hufe schlugen die Flut
Leicht, nur spielend. Wogen bäumten sich
Ûbermütig,
Und es lief mit der wiehernd springenden, jagenden
silbermähnigen Herde.
Ûber ihnen
Schrieb Flug schwarzer Störche eilige Rätselzeichen an den
Himmel Arabiens.
Der mit sinkender Sonne eine Fruchtschale bot :
Gelbe Birnen, gerötete Äpfel,
Pfirsich, Orange und prangenden Trauben,
Scheiben reifer Melone,
Schwarze Felsen glommen im Untergangen,
Amethystene Burgen,
Weisse glühten, verzauberte Schlösser aus Karneol und
Topas.
Spät hingen Rosennebel über den taubenfarb dunkelnden
Wassern der Bucht.
Das Einhorn.
Seine Hufe wirbelten Sand,
Der lautlos stäubte. Es sah
Einsarne Städte, bleich, mit Kuppel und Minarett und
den Steinen der Leichenfelder
Schweigend unter dem klingenden Monde.
Es sah
Trümmer, verlassene Stätten, nur von Geistern behaust,
in funkelnder Finsternis
Unter kalten Gestirnen.
Einmal lockte der Wüstenkauz,
Und in Fernen heulten Schakale klagend ;
Hyänen lachten.
Am Eingang des Zeltes unter der Dattelpalme
Hob das weisse syrische Dromedar träumend den kleinen
Kopf, une seine Glocke tönte.
Vorüber das Einhorn, vorüber.
Denn seine leichten, flüchtigen Füsse kamen weither
aus dem Goldlande Ophir,
Und aus seinen Augen glitzerten Blicke der Schlangen, die
des Beschwörers Flöte aus Körben tauchen, gaukeln
und tanzen heisst,
Doch das steile Horn seiner Stirnmitte goss sanfteres Licht,
milchig schimmerndes,
Über die nackten Hände und weich umschleierten Brüste
der Frau,
Die da stand
Zwischen Mannasträuchern.
Ihr Gruss :
Demut
Und der stille Glanz tiefer, wartender Augen
Und ein Hauchen, leise quellendes Murmeln des Mundes. –
Brunnen in Nacht.
Note du traducteur:
L'édition française de MONDES reprend l'agencement prévu à l'origine par l'auteur. Un double dactylographié du manuscrit original, miraculeusement sauvé, et conservé aux Archives de la Littérature de Marbach (Literaturarchiv Marbach), permet de l'affirmer et de corriger l'ordre adopté dans toutes les éditions qui ont suivi la première version procurée par Hermann Kasack chez Suhrkamp (Berlin) en 1947, soit dix années après l'achèvement du cycle par Gertrud Kolmar. L'édition française sera donc la première à rétablir la vérité et à respecter la volonté de la poétesse.
Autour du Monde MONDES - POÈMES - EDITION BILINGUE - Gertrud KOLMAR
L'heure de la découverte en France de Gertrud Kolmar semble s'annoncer.
http://www.editions-seghers.tm.fr/site/mondes_poemes_edition_bilingue_&100&9782232121821.html
Les éditions SEGHERS
Source des peintures : le site du peintre plasticien ADI HOLZER
Un article et des extraits de sa poésie sur Esprits nomades
Les univers intérieurs de Gertrud Kolmar : à propos de Welten (1937)
In 1937, six years before her death in Auschwitz, Gertrud Kolmar wrote in Berlin a cycle of 17 poems, untitled Worlds (Welten). These imaginary universes in which no explicit reference to Nazi ...
Les univers intérieurs de Gertrud Kolmar : à propos de Mondes - Welten (1937)