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aller aux essentiels

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L'atelier Poésie de Martine Cros


Je peins la lumière qui vient de tous les corps - Egon Schiele

Publié par http:/allerauxessentiels.com/ sur 27 Août 2017, 14:17pm

Catégories : #Extraits - Ressentis de lectures, #Egon Schiele, #Expressionnisme, #Peinture

E. Schiele, "Mère et enfant Aka Madonna", huile, 1908

E. Schiele, "Mère et enfant Aka Madonna", huile, 1908

 

 

POEMES

 

 

 

*

 

 

 

 

ENFANT ETERNEL QUE JE SUIS, -- j'ai toujours suivi la voie des gens ardents sans vouloir être en eux, je disais -- je parlais et ne parlais pas, j'écoutais et voulais les entendre fort, plus fort encore et regarder en eux.

  Enfant éternel que je suis, -- je me sacrifiais pour d'autres, ceux qui me faisaient pitié, ceux qui étaient loin ou bien ne me voyaient pas, moi qui voyais. J'apportais des offrandes, envoyais des regards et de l'air tremblant, scintillant à leur rencontre, je semais devant eux des chemins surmontables et -- ne parlais pas. -- Bientôt quelques-uns ont reconnu le visage de celui qui voit au-dedans et alors ils n'ont plus posé de questions.

  {...}

 

 

 

 

Page 3

 

 

E. Schiele, "Soleil d'automne I ", huile sur toile, 1912

E. Schiele, "Soleil d'automne I ", huile sur toile, 1912

 

 

VISIONS

 

{...}

 

J'ai vu le parc : vert jaune, vert bleu, vert rouge,

vert mauve, vert soleil et vert tremblé --

et j'ai écouté les fleurs d'oranger épanouies.

Puis je me suis attaché à la muraille ovale du

parc

et j'ai écouté les enfants aux pieds frêles,

ceux, mouchetés de bleu et tigrés de gris,

avec des noeuds roses.

Les arbres colonnes traçaient des lignes vers

là-bas

quand ils se sont assis avec une grâce sensuelle

en un large cercle,

j'ai songé à mes visions de portraits couleurs

et il m'a semblé

que je n'avais parlé qu'une seule fois

avec eux tous.

 

 

 

Page 9 

 

 

E.Schiele  "Autoportrait ", 1911, gouache sur papier, © Graphische Sammlung Albertina, Vienne

E.Schiele "Autoportrait ", 1911, gouache sur papier, © Graphische Sammlung Albertina, Vienne

 

 

L'ORAGE APPROCHE

 

 

De funestes nuages noirs

roulèrent partout sur l'horizon --

forêts d'eau. Annonciateurs.

Chalets gémissants et arbres aboyeurs --

 

j'allai vers la rivière noire --

des oiseaux comme des feuilles blafardes au

vent.

 

 

 

Page 14

 

E. Schiele, "Mère aveugle", 1914

E. Schiele, "Mère aveugle", 1914

 

 

 

CHAMPS DE BLE

 

 

Une clarté éclatante ondule à travers la terre ridée, des soleils aspirent, expirent. Terre abondante -- des pans jaunes contrecarrent avec vigueur un vert repu, ils croissent, approchent et nous montrent les atomes jaunes -- ils jouent pleins de joie de vivre.

 

 

 

Page 17

 

 

 

 

FORÊT DE SAPINS

 

 

J'entre sous le dôme noir rouge de cette épaisse forêt de sapins, qui vit sans vacarme et se regarde en mimant.

Les troncs d'yeux qui denses s'agrippent et expirent un air visiblement humide.

Parfait ! -- Tout est mort vivant.

 

 

 

Page 25

 

 

 

LEQUEL D'ENTRE LES GRANDS DOUES

{...}

 

 

L'artiste est surtout

un être extrêmement doué

au plan spirituel

qui exprime

ses vues

de phénomènes imaginables

dans la nature.

Qu'il soit explorateur

lequel la nature

d'abord approche et

qui se montre

pour être communiquée au monde.

L'artiste ressent aisément

la grande lumière tremblante,

la chaleur,

le souffle des êtres vivants

l'émergence

et la disparition.

Il devine

la ressemblance

entre les plantes

et les animaux,

entre les animaux

et les humains,

et la ressemblance entre l'homme

et Dieu.

Ce n'est pas l'érudit

dévorant par ambition les livres, --

il est lui-même.

La religion est pour lui

un degré dans le ressenti.

Jamais il ne fera

de gestes apparents

ou fréquentera les lieux de prière

pour écouter,

jamais il n'y ressentira

le recueillement. --

Non, c'est au dehors

dans la tempête automnale déchaînée

ou bien tout là-haut sur les rochers

où poussent pour lui

de nobles fleurs,

c'est là

qu'il est à même

de deviner

Dieu.

 

{..}

 

 

 

Pages 34-36

 

 

E. Schiele, "Procession", 1911

E. Schiele, "Procession", 1911

 

 

LETTRES

 

 

*

 

 

A ANTON PESCHKA

{Note : son meilleur ami peintre}

 

16 décembre 1915.

Gänserndorf, Basse-Autriche.

 

 

Mon cher A.P. !

{...}

La Sezession de Berlin nous a invités à exposer -- une salle et deux autres pièces sont mises à notre disposition. Moll est venu me voir et a demandé "Entschwebung" {Envol} 200x170, 10 000 marks. "Tot und Mädchen" {La mort et la jeune fille} 180x150, 6 000 marks, "Mutter" {La mère} 160x150, 6 000 marks (j'ai peint le petit Toni à deux reprises), et 20 dessins en couleur, 200 marks chaque, parmi lesquels les Russes que j'ai croqués ici. Les autres exposants : Klimt, quatre toiles, dont "Tod und Leben" {La mort et la vie}, complètement retravaillée ; cette toile, sa plus grande, sera accrochée en face de mon "Entschwebung". Kokoschka, Gütersloh, Faistauer, Harta, Fischer, Lang, Moser, Löffler, Moll, List et quelques autres qui ne font plus partie du groupe. L'empereur Guillaume doir inaugurer l'exposition ! Peut-être pourrai-je obtenir un congé pour y être. Que dis-tu de mes prix ?! -- Gerti est venue nous voir plusieurs fois. Mon cher A.P., si tu tombes sur de beaux costumes, des figurines ou autre, j'aimerais en acheter. Peut-être m'écriras-tu un mot à ce sujet. Mes cordiales salutations, et au revoir !

 

EGON. 

 

 

 

 

 

02/03/1917

 

Cher A.P. !

{...} Alors voilà : nous sommes de nouveau réunis. -- "La Kunsthalle" -- dans des dimensions énormes, tout avance à pas de géants. -- C'était dans l'air. Beaux-arts... littérature et musique. Le monde des arts tout entier s'est levé en Autriche. Les fondateurs sont des artistes et des amateurs d'art. Entre autres : Arnold Schönberg, Gustav Klimt, Joseph Hoffmann, A. Hanak, Peter Altenberg et beaucoup d'autres, -- les meilleurs historiens de l'art, etc. Ce n'est pas une association, il n'y a que des groupes de travail. Voici notre appel :

"Depuis que l'horreur sanglante de la guerre mondiale a fondu sur nous, d'aucuns se seront rendu compte que l'art est plus qu'une affaire de luxe bourgeois. Nous savons que la phase de la paix politique entraînera une grande confrontation entre les tendances matérialistes de notre civilisation et les restes de notre culture noble que l'ère mercantile nous a laissés. Face à pareils faits, tout être d'esprit a le devoir de sauver du naufrage les biens culturels autrichiens et de contribuer à réaliser les projets d'une jeunesse qui veut commencer à reconstruire et rompre à tout prix avec les erreurs fatales du passé. Il faut préparer la guerre pour ceux qui prochainement reviendront de la guerre, ils doivent avoir la possibilité de créer en toute pureté et d'oeuvrer pour le bien commun de l'esprit. Il est donc impératif de protéger la génération montante de l'isolement et de lui éviter une séparation d'avec la vie vivante. A cette fin, de jeunes gens indépendants se sont réunis pour créer un lieu de rassemblement, ils ont loué un local d'exposition et de conférences afin d'y offrir aux peintres, sculpteurs, architectes, musiciens et poètes la possibilité de rencontrer un public qui, comme eux-mêmes, est prêt à résister à la dévastation culturelle toujours galopante. {..}

Ceci sera prochainement donné à imprimer:

"Information.

{...}

Les artistes sont soutenus non par des dons d'argent mais :

a) par l'acquisition d'oeuvres d'arts plastiques et de manuscrits,

b) par des concours,

c) par la traduction d'oeuvres littéraires étrangères,

d) par la création d'une galerie privée du "Kunsthalle",

   Grâce au fonds du "K", il sera fait acquisition d'oeuvres d'arts plastiques et constitué ainsi un Musée d'arts nouveaux. Les acquisitions du "K" restent sa propriété tant qu'elles ne seront pas revendues. La valeur ajoutée sera versée au fonds de soutien. De cette manière, l'argent du "K" dépensé par le fonds de soutien y retournera avec un supplément. La puissance financière du "K" ne sera donc pas diminuée.

e) Le "K" est son propre marchand d'art et éditeur."

 

   C'est cela le plus important. Comme le "K" sera permanent, -- quand la paix aura été établie, nous bâtirons notre maison sur un terrain choisi tout près du Stadtpark. Pour le premier semestre, nous sommes d'ores et déjà assurés de disposer de 30 à 40 000 couronnes. 

   Suit une liste de donateurs, mécènes, bienfaiteurs ; -- tout cela sera imprimé. Nous allons éditer un livre par an en plus de porte-folios, et peut-être un mensuel d'art. Dans notre propre maison d'édition. En attendant, mes salutations les plus cordiales.

 

    

 EGON SCHIELE. 

 

 

 

 

 

Extraits pages 75-84

 

 

Egon, photographie d'Anton Josef Trcka, 1914, source - et plus de photographies - : www.gettyimages.fr/photos/egon-schiele

Egon, photographie d'Anton Josef Trcka, 1914, source - et plus de photographies - : www.gettyimages.fr/photos/egon-schiele

 

 

 

Extrait de la préface :

Notule éditoriale

en cinq mille six cents signes

 

 

{...}

Très tôt proche de la Sécession viennoise, le mouvement dissident co-fondé par Klimt en 1897 prônant l'abolition de toute distinction entre "grand art" et arts mineurs et édictant que l'art doit s'adresser aux pauvres comme aux riches, Schiele s'est à la fois adressé au peuple et l'a représenté. "Je peins la lumière qui vient de tous les corps", s'exclame-t-il dans une lettre adressée à son oncle {à Léopold Czihaczek du 01/09/1911}. Alors que l'industrialisation explose, vidant les campagnes et faisant déborder les villes, il peint des ouvrières, des prolétaires, des prostituées. Leurs poses assurées, aguicheuses, revêches, tranchant avec les corps empesés des bourgeois dont il exécute des portraits pour gagner sa vie, soulignent en creux l'hypocrisie, l'angoisse et la gêne que seules les classes supérieures éprouvent face au sexe. Schiele renvoie aussi à la face des bourgeois l'ambiguïté de leur désir : les corps fragiles et mal nourris qu'il peint sont ceux des prostituées qu'eux-mêmes préfèrent à leurs épouses opulentes.

Si ses écrits sont peu connus, les poèmes de Schiele avaient déjà été publiés en français {sous le titre Moi, éternel enfant, L'act mem, 2009 (1998)}; ils sont ici présentés dans une nouvelle traduction. Quant au choix de lettres, il a été effectué parmi les 1 803 références conservées - beaucoup ont été perdues - et publiées dans leur intégralité en allemand en 1979 {Egon Schiele 1890-1918. Leben, Briefe, Gedichte, Christian M. Nebehay, Residenz Verlag, 1979}, avec le parti-pris de se concentrer ici sur cinq interlocuteurs : Leopold Czihaczek, son oncle et tuteur ; Marie Schiele, sa mère ; Anton Peschka, son meilleur ami peintre ; Gertrude Schiele, sa soeur cadette ; et Edith Schiele, son épouse.

 

Marie Hermann

Pages X-XII

 

 

 

*

 

EGON SCHIELE

 

Je peins la lumière

qui vient de tous les corps

 

Lettres et poèmes,

avec cinq esquisses en noir et blanc

 

 

Traduit de l'allemand par Henri Christophe

 

Collection cent mille signes

Editions Agone, 2016

 

*

 

 

E. Schiele, "Femme allongée avec longs cheveux", 1918

E. Schiele, "Femme allongée avec longs cheveux", 1918

Art video de Sabrina Aureli

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