Fragment 6 (113)
Stobée, Anthologie, III, 1, 179 (III, p. 129 Hense) :
ξυνόν έστι πᾶσι τὁ φρονέειν.
Penser est commun à tous.
Les fragments 113 et 114 constituent un seul lemme dans Stobée - et un seul fragment dans Bywater (fr.91), Schuster (fr.123), etc. Alors le penser, "commun à tous", est aussi la "chose commune de tous", de laquelle il faut que les intelligents tirent leur force (...). En réalité, il convient (...) de dissocier le lemme en deux fragments, (...) parce que le sens exige que ce dont "ceux qui parlent avec intelligence" tirent leur force, soit non simplement le phonein, mais la saisie par le νόος de la Loi universelle de la nature ("commun à tous" = universel). Les deux fragments ont été joints parce que, dans l'un et l'autre, il est question de "ce qui est commun", et que l'on peut, grammaticalement, comprendre "commun à tous" dans les deux cas. Il convient non seulement de les dissocier mais de ne pas même les présenter à la suite l'un de l'autre, car il y a entre eux moins d'affinité qu'entre chacun d'eux et tels ou tels autres.
(...)
Même si les hommes "ne pensent pas" les choses telles que, sans instruction, ils les rencontrent (B 17), penser est, en droit, commun à tous. Même si la plupart d'entre eux n'en usent pas, ils ont en eux le pouvoir de penser, c'est à dire d'aller vers la vérité, de la saisir et de la dire. Si, habituellement, ils "ne pensent pas" vraiment, cela tient à ce qu'ils ne s'intéressent pas aux choses pour elles-mêmes mais en fonction d'eux. Vivant dans le monde clos de leur souci, étrangers à la vérité, et par là étrangers au cours absolu des choses et au Tout, qui, leur semble-t-il, ne les concernent pas, ils ne sont, en fait, pas capables de l'intérêt désintéressé du philosophe, celui de dire pour elle-même la réalité des choses dans un discours vrai. Le pouvoir de penser, qui est en eux, reste un pouvoir mort, ou aliéné - si, alors que la pensée est vouée à l'universel, les nombreux en font "une chose particulière" (B 2) en la subordonnant à ce qui leur est propre et à leurs préoccupations privées. Pourtant, la vérité existe pour tous les hommes comme fantôme ; et ce simple fantôme est ce qui attire l'amant de la vérité hors de la condition commune vers la philosophie. L'amant a raison, car, de près et pour qui le mérite, le fantôme se révélera personne vivante.
Pages 55-56
Héraclite
FRAGMENTS
Introduction par Marcel Conche
Collection Epimethée, Editions puf,
2011
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Quel est le véritable Héraclite ? Celui de Hegel ? Celui de Nietzsche ? Celui de Heidegger ? Un autre ? La présente édition des Fragments de son œuvre perdue vise, en conjuguant l'étude philo...
L'éditeur
Un peu plus sur Héraclite, et les Fragments, ici traduits et commentés par Simone Weil
Sagesse tragique et métaphysiques dans la philosophie de Marcel Conche
https://www.cairn.info/revue-philosophique-2004-1-page-69.htm
Un peu plus sur Marcel Conche
D'Héraclite à Novalis : lire : "3. Novalis et le miracle de la sagesse divine"