L'INATTEINT
Au soir d'une journée au seuil de l'été,
Avant la pleine rafale du vertigineux été, je jetai
Ce corps solide sur le sol chiffonné,
Humide d'une sueur pareille à la rosée ; et de toutes parts j'entendis
L'incessant cliquetis agité des nuées d'insectes ;
Je sentis s'épuiser l'énergie de ces bras et jambes en croix,
Dégoutter comme sève des veines broyées d'une fougère ;
La sentis ma pesanteur sur le sable et l'herbe d'un vert acide,
Sous le ciel passif, se faisant aussi magnétique qu'une pierre ;
Et mes paupières s'abaissèrent sur des yeux qu'éventaient des brises colorées.
Et d'ardents désirs enflèrent et surgirent de ma quiétude :
Transpercer cette chair et en jaillir, embrasser
Le bleu éternel, contre mes narines étouffer
Le coton odorant des nuages ; sentir sous
La plante des pieds impatients le crissement
Du gravier, les angles pointus des cailloux ; et sans fin
Contre la peau des globes oculaires imposer des images neuves,
Baigner ces yeux avides dans le flot rapide des formes :
Par la passion suspendu, mains tendues, rongées
De l'intérieur, Ô comment et vers où pouvais-je passer ?
Hors d'atteinte facile oscille ce globe inatteignable :
Cependant pour saisir un écho de la musique des sphères ces oreilles se tendent
Et les narines aspirent à l'effluve capiteux de la flamme et du sang,
Les mains malhabiles s'efforcent de caresser la chair ambiguë du fantôme,
En vain la divinité intérieure frappe contre les grilles,
Décoche des coups de pieds aux imbéciles jusqu'à ce que se brise l'esprit fiévreux.
D'heure en heure l'océan, horloge du Monde, déferle contre les falaises ;
Et le Temps sauvage, implacable, continue de taillader à travers le crâne,
Murmurant : « Reviens, il n'y a que la Mort qui brûle là-bas ». Et je sais
Qu'il s'agit de mon corps, de ma cellule, que je suis seul et prostré.
David Gascoyne Poems 1937-1942 Design by Graham Sutherland Editions Poetry London, 1943 - Source en lien -
THE UNATTAINED
On the evening of a dayon the threshold of Summer,
Before the full blast of vertiginous Summer, I flung
This foursquare body down upon the crumpled ground,
Moist with a dew-like sweat ; and on all sides heard
The ceaseless clicking and fret of insect swarms ;
I felt energy drain from these limbs spread cruciform,
Dribble away like sap from crushed bracken's veins ;
Felt this my heaviness upon acid-green grass and sand,
Under the passive sky, becoming magnetic as stone ;
And my lids slid down over eyes fanned by coloured winds.
And fierce desires swelled up from out my quiet :
To pierce through this flesh outwards, to embrace
The eternal blue, against my nostrils to smother
The fragrant cotton of the clouds ; to feel beneath
Impatient soles of feet the grinding grit
Of gravel, the sharp sides of stones ; and without end
Against the eyeball's skin to press fresh images,
To lave in the swift stream of forms these avid eyes :
By passion suspended, hands stretched out, gnawed
From within, O how and to where could I pass?
Not within facile grasp swings that unattainable globe :
Though to catch an echo of the sphere's music these ears strain
And nostrils yearn for the rich scent of flame and of blood,
Hands strive clumsily phantom's ambiguous flesh to caress,
In vain the inward divinity batters against the gates,
Kicking against the pricks until the urgent spirit breaks.
Hourly the ocean, World's clock, smashes against the cliffs ;
And savage relentless Time shreds onwards through the skull,
Whispers : « Come home, only Death burns out there ». And I know
That this is my body, my cell, and I am alone and prone.
David Gascoyne , L'Inatteint, p ages 22-23, in La vie de l'homme est cette viande, Man's Life Is This Meat, traduction de l'anglais par Blandine Longre, recueil bilingue, éditions Black Herald Press, janvier 2016.
Le site de la traductrice
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La vie de l'homme est cette viande / Man's Life Is This Meat - David GASCOYNE
LA VIE DE L'HOMME EST CETTE VIANDE David GASCOYNE recueil bilingue Traduit de l'anglais par Blandine Longre Avec des autotraductions de David Gascoyne Postface de Will Stone Man's Life Is This Meat
L'éditeur