QUESTIONNAIRE
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Ilse Aichinger
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Quel est pour vous le pire de tous les malheurs?
La Genèse.
Où aimeriez-vous vivre?
A Vienne.
Quel serait pour vous le plus grand bonheur sur terre?
Revoir ma grand-mère assassinée dans le camp de concentration de Minsk.
Quelle faute auriez-vous tendance à pardonner?
Toute faute commise par un condamné à mort. Marie-Antoinette, par exemple, marchant sur les pieds de son bourreau avant que celui-ci ne lui coupe la tête.
Vos héros de romans préférés?
Partout, ce sont les victimes qui comptent, même dans les romans.
Votre personnage historique préféré?
Faut-il que je dise : Jeanne d'Arc? Plutôt pas, non.
Vos héroïnes préférées dans la réalité?
Les proches des génies qui se sont trouvés en échec, celles qui ont porté leur fardeau, Margarethe Trakl par exemple.
Vos héroïnes littéraires préférées?
Celles qui échappent à la banalité, et si possible à la vie, comme Madame Bovary.
Vos peintres préférés?
Braque, Juan Gris.
Votre compositeur préféré?
Anton Webern.
Quelle qualité appréciez-vous surtout chez un homme?
Qu'il comprenne l'absurdité des conditions de vie, surtout biologiques, de la femme. C'est rare.
Quelle qualité appréciez-vous le plus chez une femme?
Qu'elle ne se dévoue pas à ce rôle sans résistance. L'absence de dévouement, précisément. Tout aussi rare.
Votre vertu préférée?
L'identification avec les faibles, les handicapés, les éclopés, et la disposition à endosser les conséquences qui en découlent.
Votre activité préférée?
Arracher les souris aux griffes des chats.
Qui ou qu'auriez-vous aimé être?
Rien et personne.
Votre principal trait de caractère?
Faire coïncider l'attente impatiente, la colère et la sérénité.
Qu'appréciez-vous le plus chez vos amis?
L'absence de snobisme.
Votre plus grand défaut?
Le manque d'impolitesse.
Votre rêve de bonheur?
Voir question 3.
Quel serait pour vous le comble du malheur?
Ne jamais me trouver débarrassée de ma conscience.
Qu'aimeriez-vous être?
Rien, et je n'en démordrai pas.
Votre couleur préférée?
Je n'aimerais pas offenser le spectre, qui est de toute façon à la fois trop large et trop restreint.
Votre fleur préférée?
Aucune. Feindre la tendresse par rapport à la nature n'est pas ma tasse de thé.
Votre oiseau préféré?
Le vautour, par exemple, les vautours ne tuent pas et ne se prêtent pas à l'héraldique.
Votre écrivain préféré?
Joseph Conrad.
Votre poète préféré?
Georg Trakl.
Vos héros dans la vie réelle?
Ses victimes.
Vos héroïnes dans l'histoire?
Celles qui ont aidé ces victimes.
Vos noms préférés?
Les noms de ceux qui me sont proches -- même si ces noms me sont étrangers, ils m'habitent.
Que détestez-vous le plus?
Tout abus de pouvoir, fût-il le plus infime.
Quelle figure historique méprisez-vous le plus?
Ceux qui se tiennent sur les hauteurs et dominent les champs de batailles, -- et ne sont pas dessous, donc.
Quelles prouesses militaires admirez-vous le plus?
La capacité de se faire une représentation exacte de ce qu'est un coup de feu dans le ventre. Avant d'en recevoir un.
Quelle réforme admirez-vous le plus?
Jusqu'ici, aucune n'est suffisante.
Quel don naturel souhaiteriez-vous avoir?
Savoir être au monde.
Comment aimeriez-vous mourir?
Ni dans les bras de l'Etat, ni dans les serres de la biologie.
Votre état d'esprit actuel?
Une citation de Günter Eich : "Hilarité devant les colonnades."
Votre devise?
Vivere non necesse est.
(Frankfurter Allgemeine Zeitung, 1993)
Traduit de l'allemand par Marion Graf,
Pages 102-105,
in rbl, la revue de belles-lettres, 2014, I
{ilse aichinger / pierre-alain tâche, aiguilleur /
georg trakl}
JOURNAL DE LA DISPARITION
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Ilse Aichinger
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Préambule
(...)
Assez tôt, j'ai envisagé ma propre existence comme quelque chose qui m'était tombé dessus par surprise, qui commençait par m'étourdir. Echapper à cet étourdissement forcé fut un désir tout aussi immédiat. Personne, et surtout pas moi-même, n'avait le droit de me déranger. Et puis, je ne voulais dépendre de personne, et ici encore, surtout pas de moi.
(...)
Ce court extrait, page 131 de la même revue.
" Nous pouvons retourner ce qui semble tourné contre nous ; nous pouvons précisément entreprendre de raconter depuis la fin et jusqu'à la fin et c'est de nouveau pour nous l'aube du monde. Al...
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/aichinger/aichinger.html
Sur Esprits Nomades, un article sur Ilse Aichinger - dont photographie 1 -
Le site de la Revue, pour ce numéro