"Faire en sorte que la pensée soit le bien de tous"
Discours de Jacques Abeille,
le 16 avril 2015, à Strasbourg,
à l'occasion de la remise du prix Jean Arp
pour l'ensemble de son oeuvre
En 1952 -- on se souviendra qu'il est né en 1887 -- Arp écrit :
Nos paroles sont des déchets. Elles disparaissent dans le méchant gris qui ne laisse point de traces. Gris sur gris notre vie se perd. Elle s'écoule comme une source grise aux langues éteintes.
On ne saurait mieux évoquer l'érosion du temps que par le paradoxe d'une parole énonçant son propre effacement dans la dissolution des contrastes colorés. Et à la fin de la même page -- Entre les lignes du temps -- l'accent réflexif de cet admirable poème en prose s'accentue :
Les étoiles écrivent avec une lenteur infinie et ne relisent jamais ce qu'elles ont écrit. C'est dans le rêve que j'ai appris à écrire et c'est bien plus tard que péniblement j'ai appris à lire. Comme si cette science leur était innée les oiseaux de nuit lisent dans le noir opaque l'écriture ridée des hommes périssables. Les fleurs vagabondes me réservaient une surprise charmante lorsqu'elles avaient contrefait à s'y méprendre ma signature en groupes vivants sur les rochers.
Or c'est trop dire que de parler de réflexion ici car bien en vain chercherait-on une distinction des niveaux de conscience que marquerait celle des niveaux de langue. La métaphore est immédiate et spontanée. Elle développe une pensée plasticienne dans laquelle l'écriture engendre la parole parce que toute origine est dans le rêve. En d'autres termes, avec une lumineuse candeur Arp récuse l'hypothèse de l'arbitraire du signe. Il n'y a nulle solution de continuité entre l'élan de l'homme et le long mouvement de la terre.
Pages 14 - 15 (Extrait)
Ombre je vous aimais
vous ne serez pas oubliée
c'est comme si j'étais mort
tellement je ne sais plus
je vous nomme Ombre
ressuscitée
Jacques Abeille
(in Les branches dans les chambres, recueil poétique , 1984 chez Phalène)
Cité page 79 in D'ombres en halliers (étude de Arnaud Laimé)
rien ne me contient
tout m'emprisonne
je trébuche je m'efface
l'hallucinant appel du silence
harcèle les nuits
de ses élytres de feutre
l'action de la parole est éteinte
Jacques Abeille
(in d'Ombre, recueil poétique , paru en 2009 aux éditions des Vanneaux)
Cité page 83 in D'ombres en halliers (étude de Arnaud Laimé)
Parfois la nuit je m'éveillais pour écouter son souffle qui était bref et tenace. Je pressentais des courses fièvreuses où l'appelaient des rêves excessifs. Je la voyais loin de moi livrée à des peines périlleuses, crucifiée de la mauvaiseté du monde. Je murmurais son nom, Ombre, comme une prière.
Jacques Abeille,
(In d'Ombre, recueil poétique , paru en 2009 aux éditions des Vanneaux)
Cité page 91 in D'ombres en halliers (étude de Arnaud Laimé)
Enfin, comme un halo diffus, tout à la périphérie (du surréalisme), depuis les origines on aurait rencontré des femmes. Lise Deharme, la dame au gant de bronze, Gisèle Prassinos, adolescente avec frère aîné, Leonora Carrington, sorcière d'en bas, Greta Knutson, lumière cendrée, ou, plus contemporaine, Nelly Kaplan (...). Chacune dans sa légende, toutes des conteuses. Si je devais m'assigner une place dans le contexte du surréalisme, finalement, aujourd'hui, c'est dans cette nébuleuse -- parmi les femmes -- que je me situerais (...)
Jacques Abeille,
Page 157, cité in "Le corps perdu : penser l'art à l'ère de la barbarie" (étude de Ivanne Rialland)
Le Dépossédé - Territoires de Jacques Abeille
Arnaud Laimé et collectif, Jacques Abeille Le Dépossédé regroupe les contributions de chercheurs et d'amateurs passionnés par l'œuvre de Jacques Abeille qui se sont réunis lors d'une journé...
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