Eclaircie au Musée
des Beaux-Arts
de Dijon,
Une ballade-ode poétique,
par Martine Cros.
Duché, Duchesses,
ce jour, le moyen âge est mien,
dans la piété et le raffinement de mes pas d'enfant,
pas d'enfant.
Les quatre Ducs attirent les artistes, musiciens et lettrés pendant plus d'un siècle. Princes itinérants, ils résident à Paris, Bruges ou Bruxelles. A Dijon, le chantier de la Chartreuse de Champmol commandée par Philippe le Hardi est l'un des principaux foyers de création artistique des années 1400.
Les portraits accueillent la passante :
Philippe le Hardi, 1342-1404
Jean sans Peur, 1371-1419
Philippe le Bon, 1396-1467
Isabelle du Portugal, sa tendre, 1397-1471
Charles le Téméraire, 1433-1477
Tous à la fête champêtre,
élégants seigneurs et dames de blanc vêtus,
au bord de la rivière
écoutent la musique, dansent, et partent pour la chasse.
Ces tombeaux !
Récipients de nos amours
et
de nos vies qui passent, inaperçues,
oscillent encore
dans la lumière muséale.
Sous les cendres, ces êtres de l'ombre portent
en eux comme des oriflammes
les sculpteurs, les ouvriers,
les doreurs et les scribes.
Petits moines pleurant d'être encore là.
Je n'entends point de mélodie
liturgique. Les Vêpres n'ont pas sonné
par ici et rien qu'un silence subsiste,
où souffle l'ironie.
Pleurants priant portant impliées les tombes
dans leurs heures d'oeuvres de miséricorde,
chapelets, livres, cordelettes et drapés.
On imagine l'abrasivité de l'outil qui les fit
sortir de l'imaginaire, de l'histoire et de la foi.
Comme ils reposent en paix maintenant sous la sépulture, mais leurs visages comme une photographie ont figé leurs douleurs et leurs prières dans la pierre polie qui ne dit plus un mot.
Moines de Sluter, vos courbes et contre-courbes comptent, dit le petit livre couleur sable. Pleins et vides..., ombre et lumière font partie du vocabulaire du sculpteur. Il joue de ces contrastes, créant une dynamique visuelle.
Et ces deux retables vêtus d'or et de peinture vive: retable des saints, retable de la Crucifixion.
Enluminures & mise en lumière pleurent sang et silence.
Bleu outremer, poinçons, et les visages un peu stupéfaits,
rehaussés de passions humaines.
Sous le couronnement de la Vierge,
quatre anges musiciens.
(Zanobi di Machiavelli, Florence, 1418 - Pise, 1479)
Et la Vierge à l'enfant, avec saint Jean-Baptiste.
(Francesco Franciabigio, Florence, 1482 – Florence, 1525)
Et la Vierge à l'enfant encore ici,
(Bernardo Luini, Ecole lombarde, vers 1480-1532)
qui appose sa douceur à la tristesse
qui ne me quitte
que pour la vénérer.
Un tendre bémol est assis sur son visage
car elle veille sur sa propre pudeur,
elle veille sur l'enfant
qui, malgré le haut dessein qui l'attend,
n'aspire qu'à jouer,
qu'à jouer.
Sommes-nous des enfants dans la veille des douceurs ?
Visage, tu m'émeus
car en ta nuque sage,
la fleur qui t'embellit
rappellera toujours
ce sexe enfoui
sous ta peau de sainte.
Et saint Pierre marchant sur les eaux
(Giorgio Vasari, Arezzo, 1511 – Florence, 1574)
comme le Christ au roseau
a ce même visage,
comme la Vierge attirante.
Attirante est leur ferveur
et je pourrais presque croire
à tout ce pardon possible
que nous réclamons tous à genou
avant de nous noyer à nouveau.
Pardonne-nous, Baptiste,
Baptise-nous,
donne-nous un nom pour croire à nouveau.
Je veux bien qu'on me nomme du bleu de ta toge
qui me fluidifie
et être cette broche qui retient ton dénuement.
Je crois que c'est une destinée qui sied à mes rêves :
retenir les dévoilements,
les possibilités infinies du pardon
dans l'attente qu'ils soient
diaphanement reconnus.
Et cette femme fleur longue de volupté vêtue,
Vénus endormie dans mes songes printaniers,
(D. de Q. Van Ravesteyn, actif à Prague de 1589 à 1608)
Mais elle s'offre un peu trop à elle-même.
Ce qui m'émeut plus profondément encore
est la violence des passions et son cortège symbolique :
Roger et Angélique !
(Vers 1630, Giovanni Biliverti, Florence, 1576 – Florence, 1644)
où la scène (Chants X et XI) tirée du Roland furieux, roman épique de 40 chants
écrit en 1516 par le poète et écrivain italien l'Arioste, est celle-ci:
Ainsi je puis être
la chevalière indigne, déhonorante, et me tuer à l'oeuvre pour rassembler les débris du monde, car j'ai péché en te désirant malgré toi.
Ainsi je puis être
la belle et subtile nudité qui se trouve bénie des dieux, dont la bague est sans doute une promesse, une parole consolatrice du très-haut ou un jeu brillant du hasard.
Ostie :
mettre à la bouche ce qui sauve
mettre à la bouche ce qui offre l'inviolabilité
mettre à la bouche la présence du dragon et dans sa présence, la bienveillance divine
mettre à la bouche l'eau sous le sein presque caché, presque offert.
Ainsi je puis être
l'armure récalcitrante, l'habit des parades, le noeud de temps qu'il faut
pour permettre le salut , la protection qu'on suspend lorsqu'on est au repos, qu'on enfile à nouveau pour combattre, et qui, dans un sens comme dans un autre est l'arme contre l'arme, le voile contre le mal, repoussé, qui reviendra.
Ainsi je puis être
la monture,
ce Pégase si blanc,
ce glacis transi de courage
et par sa transparence, sous des bleutés de Chine et de Prusse,
ce gris de ciel éloigné de la vue des hommes,
ce messager qui fuit les honneurs : dans sa discrète course, on dirait un nuage.
Il laisse le crime face au vice, face à la honte, face à la justice,
face contre la terre de la rédemption.
Il veille sur la belle et veut sauver le vierge, le noble et le pur.
Monture au long cou gracile orné de cheveux de vent
vrille sa colonne ainsi, sa veille poursuivant,
vrille de ses ailes et non plus de ses pattes,
vrille dans le ciel pour qu'on le confonde
avec les oiseaux.
Car la pureté qui risque de périr ne se préserve que
dans l'anonymat de l'amour total.
(Variazioni :
Ne la connaissant pas, Pégase aime Angélique
Ne la voyant pas, Pégase aime Angélique
Pégase sauve Angélique
car ses plumes ont des yeux
qui sont des bagues de vertu)
Dans le tableau de ce chant,
dans le désordre des choses,
chacun porte sa croix et écrit son chemin.
L'immoral chevalier
cherchera sa rédemption dans le combat
contre ses propres démons car l'adversaire survient en eux.
La belle femme
est dénudée par le dragon ; dénudée, attise toutes les convoitises. Mais, elle est sauvée par la main divine. Qui lui donne sa bague et l'épouse. Et par là même lui ravit sa visibilité et sa possibilité charnelles.
Elle est, nue et désirable, l'incarnation du combat millénaire.
N'est-elle pas sauvée par le même très-haut qui d'une main dénude et de l'autre revêt ?
Si elle n'était que nue ?
Si elle n'était que désirable ?
Si elle n'était qu'intelligence ?
Fallait-il qu'elle soit cette trinité pour donner chair au paradoxe :
dans le plus infime geste, dans le moindre mot, dans le moindre descellement d'arme, s'aiment et s'unissent dieux et démons – et ne s'épousent-ils pas ? – qui ne peuvent se quitter jamais que dans un Pégase de conscience, seule faculté de représentation.
Un Pégase
qui est monture, socle, messager, veilleur, surmoi de nous,
mais qu'il est beau aussi avec sa croupe majestueuse et sa crinière d'ondes,
incarnant force, noblesse, ordre moral et féminité.
Et la bouche
qui absorbe le miracle, la bouche absorbe le baiser immoral et non (a) venu, elle absorbe l'indésiré dans sa mise en transparence, elle absorbe la promesse d'un monde meilleur. Meilleur, si invisible ? Est-ce la condition ? Est-ce un retrait monacal pour prendre le recul et le repos qui préparent à la vraie nourriture ? Et quelle est la nourriture invisible par excellence ? Est-ce l'amour ? Imprononcé, avalé, secret, inhérent, in héraut , in utero : sein, ventre de la mère ; flanc de l'animal ?
M.C., les 22 et 23 février 2016
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