Le secret d'Eros, c'est qu'il n'a pas lieu forcément dans les rapports humains. (P.77)
Au coeur d'une oeuvre d'art, il y a cette puissance : une puissance poétique - un POEME. C'est ce poème que j'ai entendu lorsque, les premières fois, je suis venu voir les tapisseries. (...)
Comment, dit Heidegger, "entrer dans ce que l'oeuvre a ouvert" ? (...)
Comment est-il possible que l'abondance vienne avec ce qui se dérobe ? (P53-54)
Une oeuvre d'art vous donne donne accès à un corps - au corps qu'elle vous fait. Car il ne s'agit pas d'entrer dans la tenture pour y vivre, encore moins pour en reconstituer la trame. Les oeuvres n'existent pas pour se substituer à nos désirs, ni pour guérir un manque. Il s'agit de faire l'expérience de son propre désir en l'exposant à celui qui vibre au coeur de l'oeuvre. (P56)
A MON SEUL DESIR
Yannick Haenel
Collection Entre-deux
dirigée par Catherine Flohic
Argol éditions, 2005
& Réunion des Musées nationaux
C'est d'abord, lorsque, en marchant dans les rues, je ferme les yeux, un envol de plis rouges. Je devine, sous la mousseline blanc perle et ivoire qui enveloppe les bras de la dame, une torsade de motifs végétaux, qui me font songer aux chatoiements de moires florales du Printemps de Botticelli. Ca me glisse doucement dans la bouche ; la tapisserie, maintenant, je la savoure.
La musique savante ne manque pas à notre désir, elle est là tout le temps : elle se joue en plein coeur de Paris. Pour qui ? Le plus souvent, pour personne : il est possible que la poésie n'ait pas besoin de vos oreilles. Mais si votre oreille est assez libre pour cette musique, alors votre jouissance va s'élargir, peut-être aussi votre capacité à aimer. (P. 30-31)
L'éclair sexuel s'illumine sous les surfaces les plus calmes. C'est Maldoror qui le dit à propos des vagues du vieil océan : "Elles sont dans le calme le plus complet.". Eros traverse la Dame à la licorne en frémissant : il excite les couleurs, lève leur humidité et les arrose de douceurs. Il fait sentir à travers les plis la palpitation des fentes. Le rouge intense de la tenture lui permet d'entrer et de sortir. (...)
Ces tapisseries ne sont-elles pas une invitation à l'érotisme ? Le trésor ne se réduit pas à la richesse des bijoux : d'ailleurs la dame s'en dessaisit - elle se déshabille. Le trésor est ailleurs - dans la pudeur des gestes, dans le chatoiement qui conjugue le corps de ces femmes à la végétation, dans le fleurissement général, dans la musique des sens, dans chaque ondulation, dans chaque tige brodée sur le fond de mille-fleurs, qui fait signe vers sa sève, dans les préparatifs d'un instant dont la nature restera secrète. La cérémonie qui se joue entre la dame, les animaux héraldiques et l'inscription " A mon seul désir" met en oeuvre ce trésor. (P. 33-36)
On dit qu'une grande voix étrange plane certains soirs au-dessus de la montagne Sainte-Geneviève. Elle s'enroule comme une écharpe autour du dôme du Panthéon et se jette au vent des rues ; se glisse aux terrasses des cafés, caresse les jambes des filles et s'invite dans les phrases prononcées jusqu'à la Seine, tout en bas, où elle se baigne en chantant.
Ils sont beaucoup à l'entendre comme une plainte, le rappel des beaux gestes morts, une élégie des fantômes de Paris. Mais non, cette voix est très jeune, elle dit à la vieille ville :
"REVEILLEZ - VOUS L'AVENTURE". (P.37)
Le désir est une réussite du corps. Il lui offre le langage de sa propre fièvre, mais c'est une fièvre heureuse. Regardez le visage de ces dames : c'est un ruissellement de pudeur. La grande force du désir est pudique. La pudeur est sa plus belle intensité, celle qui conserve la violence du désir et en relance la force. (P.49)
Y a-t-il, dans votre vie, de la place pour le passage des chevaux ?
Le libre navigue à travers le temps. Il met en rapport des couleurs et des formes qui s'ignoraient, et en offre, par-delà les conventions, une action qui libère.
Cette action poétique du temps sur lui-même, appellons-la la jouissance du temps.
La jouissance du temps est si étrange qu'elle échappe à la représentation.
L'histoire de la métaphysique la rejette dans les domaines dédaignés de l'extase. Et comme c'est une extase qui n'a pas un air très humain, elle est souvent considérée comme du néant. (...)
Une telle invitation à la vie poétique surgit dans la violence, mais, en vous arrachant aux habitudes, elle prodigue à votre corps ce calme du repos éclairé, où le monde vous apparaît dans une lumière neuve.
Rainer Maria Rilke met en rapport les tapisseries de la Dame à la licorne avec la figure de Charles le Téméraire. Il les regarde comme un joyau de la maison de Bourgogne où, à travers la ritualisation passionnée de l'existence voulue comme chef-d'oeuvre, se joue, à l'époque, une relation nouvelle entre l'art et la vie. (P. 73-74)
La joie de l'élargissement s'éprouve à la faveur d'une perte des repères. C'est de la nacre dans vos désirs. La vie sociale s'estompe, les contraintes vous semblent une farce. Vous ne répondez plus présent, c'est pourquoi votre présence, enfin, se révèle, ailleurs. Elle s'étire dans les feuillages et, comme du lierre, s'enroule sur elle-même. Tout devient évasif, flottant, imperceptible. Violent aussi - une allégresse qui balaye les embarras.
Les cercles qui s'inventent à l'intérieur d'un corps forment ce que j'appelle un corps.
Un corps est une variation de vertige.
Un corps est un buisson de gestes au repos, une provision de phrases ordonnées à la mémoire de tous les gestes du monde. Ces gestes sont à tout moment réveillables. (P88)
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