Extraits de la préface de Jean-Pierre Dubost:
NAISSANCE DE LA FABLE
"L'extrême condensation de la langue poétique de Reiner Kunze métamorphose en quelque sorte la poésie en fable, mais sans qu'elle ne cesse d'être pure poésie. Il ne s'agit bien sûr pas d'une simple question générique. Mais parce que cette poésie n'est pas étrangère à la riposte, parfois cinglante, du vers au pouvoir et parce qu'elle crée, comme la fable, de par son étonnante brièveté, une zone de silence autour des mots et égrène d'admirables leçons de vie à partir d'impalpables moments, elle s'inscrit dans la longue tradition du face-à-face du poète et de la violence, de l'esthétique et du politique. Et dieu sait si ceux qui ont donné ainsi la riposte à la Grande Fable du pouvoir par la fragile fable du poème sont légion.
Nous ne retenons trop souvent que les oeuvres, oubliant que c'est d'une longue expérience d'ostracisme qu'elles tirent la force de leur réponse à l'ordre du monde, aux pouvoirs. La poésie est une toute petite flamme dans le vacarme du monde. Mais elle ne s'éteint jamais.
Pages 11-12
(...)"l'hymne" adressé à une femme soumise à un interrogatoire politique (p.54-55) (...) apporte le contrepoids du réel . ausgesetzt ihren blicken habe sie / alles erfahren // über sie ("exposée à leurs regards elle a / tout appris // sur eux"). La violence, c'est ici la transparence des mots, ou plutôt la folie de penser que cette transparence est la Loi et que celui qui s'y oppose (et la poésie ne peut ici qu'entrer en dissidence) est par principe coupable. La violence politique et l'impudeur sont les deux versants de la Grande Fable.
Page 15
TOUCHER
Quand le monde touche l'âme et que le sentiment engendre l'oeuvre, une césure s'ouvre.
Page 17
FABLES DE QUAND NOUS NE SERONS PLUS
"Un homme qui dort, tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes", écrit Proust dans les premières pages d'A la recherche du temps perdu. Mais pour qui sait entendre jusqu'au bout le temps de la vie -- son "être pour la mort" --, le très court instant étiré du temps d'une vie, la beauté comme clin d'oeil entre l'apparaître et le disparaître dont parle Albert Camus, que R.K. cite au tout début de ein tag auf dieser erde, échappe à la mélancolie. Dans l'insomnie du poème, l'homme qui, tel un gisant veillant dans la nuit, peut encore "secouer le silence"(p.122-123) sous sa tête, se pense, encore "de ce côté-ci", ici sur cette terre et dans le temps, comme un silence futur, quand il sera couché "de l'autre côté", espace-temps que le poème d'avance écrit de ses mots.
Pages 21-22
Jean-Pierre Dubost
Nachts
Unhörbar lehnt der hang am haus
Noch liegen wir
diesseits
Noch können wir die stille unter dem kopf
aufschütteln
La nuit
La pente s'appuie sans bruit à la maison
Nous sommes encore couchés
de ce côté-ci
Nous pouvons encore secouer le silence
sous notre tête
Pages 122-123
Reiner Kunze
Reiner KUNZE,
Invitation
à une tasse de thé au jasmin,
Anthologie personnelle de Reiner Kunze,
Traduit de l'allemand par Muriel Feuillet et Mireille Gansel,
Edition bilingue,
Préface de Jean-Pierre Dubost,
Collection D'une voix l'autre,
Collection étrangère dirigée par Jean-Baptiste Para,
CHEYNE éditeur, 2013
Cheyne Éditeur, édition de poésie et livres contemporains
Depuis 1980, Cheyne publie de la littérature contemporaine avec le double souci de faire connaître de nouveaux écrivains et poètes, et d'accompagner l'œuvre de ceux qu'il a découverts. Une di...