I
Ecrire, poétiquement, c'est effacer dans le mot, par le souci de ce qui en lui est sonorité, musique en puissance, cette part notionnelle qui le met en relation avec d'autres notions, d'autres idées, rien de plus. Et c'est donc dégager de cette rêche enveloppe une figure des choses qui n'est plus ce que l'on croyait en connaître quand encore on les réduisait à l'abstraction d'un savoir. On voit, soudain, ou du moins on s'attend à voir. L'arbre se dresse dans le mot arbre, en poésie, comme il le fait à la croisée de deux routes, silencieux dans la brume, et d'évidence averti de la voie que nous devons prendre.
Et c'est donc là comme dessiner, d'où ce souci du dessin qui va de pair si souvent avec la réflexion sur la poésie. Car dessiner non plus n'est pas obéir à un savoir que l'on a du monde : sinon ce ne serait que triste et méchante étude, académique. Le grand dessin va le trait comme on se défait d'une pensée encombrante, il n'identifie pas, il fait apparaître.
Yves Bonnefoy,
Extrait page 189/190 de
Comme aller loin, dans les pierres, in Remarques sur le dessin
In La vie errante, suivi de Remarques sur le dessin
Poésie / Gallimard, août 1997.
En écho à cette lecture, que j'entame, de Remarques sur le dessin, dont je mettrai ici régulièrement un extrait jusqu'à l'intégralité du chapitre, je dessinerai en appliquant tout d'abord à la lettre l'évocation d'Yves Bonnefoy, pour ensuite en accentuer le trait -- ou les quelques traits principaux -- que mon imaginaire à cet instant aura décidé en la gestuelle -- ou est-ce le contraire --. En l'occurence ce jour, j'ai tout d'abord dessiné au crayon noir Daler Rowney le mot Ecrire , dont j'ai épaissi les lettres, que j'ai ensuite gommé -- effacer dans le mot, nous dit l'auteur -- , puis que j'ai noirci, accentuant la texture à gauche en faisant naître comme un tank, un monstre d'acier, de guerre. Puis, à droite, juste deux ou trois tracés au crayon de papier plus fin, pour donner à ce que j'ai pris pour une sihouette un aspect amaigri, errant, solitaire et féminin. D'où le titre du dessin : Femme seule....sur la plage : idée du débarquement -- si l'on suit la voie du tank --, idée d'un voeu de revoir la mer, etc. Faire apparaître.
Martine Cros