C'était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or Je croyais voir
Ses patientes mains calmer un incendie
C'était au beau milieu de notre tragédie
Et pendant un long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
C'était au beau milieu de notre tragédie
Qu'elle jouait un air de harpe sans y croire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
Elle peignait ses cheveux d'or et j'aurais dit
Qu'elle martyrisait à plaisir sa mémoire
Pendant tout ce long jour assise à son miroir
À ranimer les fleurs sans fin de l'incendie
Sans dire ce qu'une autre à sa place aurait dit
Elle martyrisait à plaisir sa mémoire
C'était au beau milieu de notre tragédie
Le monde ressemblait à ce miroir maudit
Le peigne partageait les feux de cette moire
Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire
C'était un beau milieu de notre tragédie
Comme dans la semaine est assis le jeudi
Et pendant un long jour assise à sa mémoire
Elle voyait au loin mourir dans son miroir
Un à un les acteurs de notre tragédie
Et qui sont les meilleurs de ce monde maudit
Et vous savez leurs noms sans que je les aie dits
Et ce que signifient les flammes des longs soirs
Et ses cheveux dorés quand elle vient s'asseoir
Et peigner sans rien dire un reflet d'incendie.
Aragon
Elsa au miroir
in Les yeux d'Elsa - 1942
Aragon !
Tu écris sur la guerre l'amour
l'espoir
Dans Elsa au miroir
dans ces quatre quintils
& dans ces cinq distiques
tu sais dire combien
elle est unique
cette empathie
entre
deux êtres voués l'un à l'autre
Cet autre aimé aimant qui
nous renvoie à nos souvenirs
parfois les plus cruels et qui
en même temps
nous aspire
inspire et nous rend souriants
Cet autre ami amante qui
nous dit sois!
en toute liberté
quoiqu'il advienne je
te soutiendrai
sois! poète et mon amant
sois! ce que tu dois être
prends ton temps
à travers moi et mieux,
à travers NOUS, le monde
Pas besoin de
prononcer le mot guerre il
déborde déjà
mais
dans le silence de tes yeux je
reprends les forces nécessaires
à ce combat cru qui
s'annonce diluvien
Et ta main me conduit en
résistance
Stances que tes regards !
Et repos que ta bouche !
Entre ouverte aux douleurs de la nuit
Nos tragédies dans la
chevelure de l'amour
sentent les cistes blancs et la vanille
que sublime
la caresse sur nos fronts démunis
Quand j'écris les mots sur ton âme claire
qui s'écrivent aussi sur le ciel en errance
alors tu me rends là
d'où je viens
Sans masculin sans
féminin sans pluriel
ni singulier
car l'amour n'a rien
de tous ces artifices
L'amour est juste nu au
milieu de la piste
comme une pluie en flammes
Martine Cros