Compte les amandes,
compte ce qui était amer et t’a tenu en éveil,
compte-moi au nombre de tout cela :
je cherchais ton œil quand tu l’as ouvert et que personne
ne te regardait,
j’ai tourné ce fil secret
sur lequel la rosée que tu pensais
a glissé en bas jusqu’aux cruches
que protège une formule qui n’a trouvé le cœur de personne.
C’est là-bas seulement que tu es entré tout entier dans le
nom qui est le tien,
que tu as marché d’un pied sûr vers toi-même,
que les marteaux se sont balancés librement dans le beffroi de ton silence,
que le tout juste Entendu est soudain venu jusqu’à toi,
que le déjà-mort t’a aussi entouré de son bras,
et vous êtes allés trois en un dans le soir.
Rends-moi amer.
Compte-moi au nombre des amandes.
Zähle die Mandeln,
zähle, was bitter war und dich wachhielt,
zähl mich dazu:
Ich suchte dein Aug, als du's aufschlugst und niemand dich
ansah,
ich spann jenen heimlichen Faden,
an dem der Tau, den du dachtetst,
hinunterliegtt zu den Krügen,
die ein Spruch, der zu niemandes Herz fand, behütet.
Dort erst tratest du ganz in den Namen, der dein ist,
schrittest du sicheren Fusse zu dir,
schwangen die Hämmer frei im Glockenstuhl deines Schwegens,
stiess das Erlauschte zu dir,
legte das Tote den Arm auch um dich,
und ihr ginget selbdritt durch den Abend.
Mache mich bitter.
Zähle mich zu den Mandeln.
Paul Celan, Choix de Poèmes, traduction Jean-Pierre Lefebvre
(Paris, Editions Gallimard, 1998)