Raphaële George
Psaume de silence
suivi de
Journal
Les Editions Lettres Vives
Collection Terre de Poésie,
octobre 1986
PSAUME DE SILENCE
Nous voulions le corps du vide,
comme pour expier la faute d'être enveloppe.
Choisir en nous l'Être d'exception.
Lui donner le visage harmonieux d'un ange ;
visage que l'on sait blond avant que la couleur
ne le recouvre comme s'il était le frôlement du sable
livré au regard par la seule quantité des grains
qui le composent, et auquel le moindre vent épargne
la pesanteur.
Le silence nous amène à joindre nos gestes
dans l'accomplissement ; accomplissement du regard
qui rend à notre mémoire ce corps oublié en chacun
de nous.
Lui seul nous gardait...
Mais il y eut les mots après la naissance du jour ;
nous avons quitté ce temps heureux où la terre nous
gardait en son silence.
Et ces mots, qui nous viennent, sont cette inscription
du silence alentour que jamais nous ne pourrons
articuler.
P. 14 et 15
JOURNAL
(feuilles volantes)
Il m'arrive de rêver être un grand tissu, une étoffe qui recouvrirait tout, dont je serais un peu la matière, écoulement, silence retenu, matière qui, enfin, ne compte plus avec la mémoire et pourtant montre la splendeur muette de ce qui a disparu.
Quelquefois il me prend l'envie de coudre ensemble toutes les couvertures, tous les tissus, les objets mêmes, tout ce qui m'entoure enfin pour m'y ensevelir.
Imaginer cette fusion possible. Être, seulement un peu, la matière d'une étoffe qui recouvre tout.
Je suis en exil, je me sens à peine appartenir à cette terre, mon regard m'ennuie, je sais trop ce qu'il voit et il ne voit rien qu'il ne sache déjà regarder. Ainsi lorsque j'écris j'ai peur de manquer d'innocence, je me méfie de ce que je ne serai plus désormais, j'ai peur de ne plus supporter de penser aux mêmes choses. Je me sens tout informelle et lâche (...), si bien que je suis tombée malade, nostalgique comme renvoyée subitement à ma stupidité. Cette peur d'être bête.
Extrait, p. 51 et 52, sans date (entre avril et décembre 1984)
Il se passe souvent avec les mots quelque chose d'assez semblable à cette sensation d'être surpeuplée, comme si tous les mots s'étaient si bien accordés de cette mémoire enfouie qu'ils prendraient trop de puissance. On se dit qu'on ne peut pas y toucher, on croit toucher aux visages des morts.
On ne devrait jamais s'arrêter d'écrire, tout ce qui est poésie surtout. On perd l'habitude, et bêtement on devient ignorant de la musique qui lui est nécessaire.
D'une certaine façon on sort de la grâce.
Extrait, p. 56 et 57
A mon avis nous sommes ici pour aller, aller simplement. Et tant qu'à aller, cela peut se faire bien.
Soyons quelques-uns d'heureux.
Extrait, p. 60
NOTE préliminaire de Jean-Louis GIOVANNONI (Extrait)
Psaume de silence est le dernier texte que Raphaëlle George ait écrit, avant de disparaître le 30 avril 1985. Elle avait l'intention d'écrire un livre qui aurait sans doute approfondi davantage les pensées qu'elle avait creusées dans son Eloge de la fatigue. Le peu de temps qu'il lui restait à vivre ne lui permit pas de réaliser ce projet. L'urgence la poussa néanmoins à reprendre les ébauches d'un manuscrit inachevé, Suaires, dont un premier état avait paru en 1981 dans le dernier numéro thématique (L'autobiographie) des Cahiers du Double, en y ajoutant des passages extraits de ses journaux intimes de 1982 à 1985. L'ensemble fut retravaillé et consigné par elle dans un carnet, à l'exception de certains passages qui furent dictés par Raphaëlle George à son ami Jean Chazy.
(...)
Mes vifs remerciements vont à Jean-Louis Giovannoni, pour m'avoir communiqué avec amabilité ces deux photographies de la poète.
Site consacré à l'écrivain et peintre Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni
Sur le site "Terres de femmes', la revue de poésie & de critique d’Angèle Paoli, d'autres textes et poèmes de Raphaëlle George