Choeurs de harpes,
Demeures de cithares,
O clameurs d'hosannas,
O Eglise des hymnes !
La clôture qui t'entoure,
C'est la paix qui vient tout pacifier !
Saint Ephrem de Nisibe
Hymne sur le Paradis, 11, 3.
...
Ton regard scrute le ciel
en partance
autres combats autres visages
dans l'attente
...
Au devant du poème d'Angèle Paoli, dans l'exergue, Sylvie Fabre G. ouvre la voix : "trembler de découvrir l'éternité" . De quelle fièvre tremblons-nous ? Est-ce que sur sa droite infinie, sur quelque point clef, le temps nous invite à laisser une trace, et que cela nous galvanise ; est-ce que l'idée de ne rien léguer nous effraie ? Angèle Paoli prend la parole dans l'apaisement de son texte ; elle revisite les légendes et les chimères. A quoi bon ce hasard, cette bénédiction, ou cette torture d'être en vie, si ce n'est pour élucider le mystère du temps qui passe sans se soucier de notre mort ? Le maître-mot serait-il CROIRE … Esther Tellermann nous dit : " Il faut croire pour écrire, croire que l’art est une procédure de vérité." * Et se consoler de notre humble condition, humble et noble, et accepter notre fuite que nous ne déterminons pas. Nos émotions, émanations d'un inconscient collectif, font naître en nous des images, icônes de notre pensée ; elles se mêlent à la fluidité du temps qui passe : en elles se retrouvent unis passé, présent et une destinée dont nous ne savons rien. Angèle Paoli sait les réunir dans sa langue distillée. Religion et Histoire anciennes sont convoquées à la cîme de la montagne. On aperçoit des évanescences de visages, des présences au combat. Les éléments de la Nature, des racines du ciel aux profondeurs de l'eau, semblent tissés par le temps pour ne former qu'une étoffe, manteau de notre chair d'aujourd'hui. Tout semble lié par un grand secret que notre désir connait, et nous cherchons toujours les mots poètes pour le sertir dans nos futurs proches.
...
Voyage des fils de couleur
treillis tissage dans la toile
carré d'ivoire
tendu dans la mémoire
des sentes traversières
...
Nos troupeaux paissent tranquillement pendant que les yeux de la poésie, dont le regard atteint tout, déchiffre les énigmes. Bardesane d'Edesse et Ephrem de Nisibe ont écrit que le destin n'est pas régi par les astres mais par l'esprit sacré qui, en nous, est liberté.
...
La montagne couronnée
veille sur le temps
des hommes tambours
battants de la bataille
lourde marche
les boeufs attelés
à la tâche
rythment leur chant
...
...
visage clos sous les paupières
étoffe d'étoffe
inscrite à même le ciel
trame sur trame sur trame
encore
taches bruns de rouille
d'ocres
sur le trembé du soir
...
Un mot, chaque mot, est important :
...
lent charroi des ans
...
Le temps transporte ses siècles et nous sommes les alluvions du temps. En nous pourrait germer ce que nous voudrions créer ensemble, comme une sémantique nouvelle, pierre précieuse enfouie dans les strates de toutes les langues mortes, de toutes les peintures mystiques. Pour combattre l'Impérialité, il nous faut regarder au delà du temps, et en deçà de nos empreintes trop humaines.
...
l'ombre portée
de ton regard est
braise
...
...
cristaux de jade de sardoine
…
Le jade vert est pierre des Amazones ; la sardoine représente la pureté virginale et la haute foi toute puissante.
"Celui qui s'était assis sur le trône paraissait semblable à une pierre de jaspe et de sardoine."
Apocalypse 21, 11 et 4, 3
Sonder la plupart des mots provoque d'étranges coïncidences : de couronnée à rois, d'Edesse - berceau d'Abraham - à Bardesane le philosophe, d'étoile à astrologue, de toile à tissu, icône, de zeugma à FOI ... Tenter d'approfondir le mystère, puis enfin, laisser aller la pensée : sommes-nous un point - de suture - dans la trame tissée par le temps et l'amour, entre ce qui fut et ce que nous désirons ? La Nature, innocente qu'elle est, nous apporte sa patience. Pourrons-nous alors coudre ces "fragments du vivre, retenir ces fragments, les sceller par le pouvoir de la langue." (Esther Tellermann*)
...
La hulotte sur son fil
ponctue le soir
trois notes discrètes et tristes
quelques noires tendues
sur la traine
d'un point
de l'horizon
à l'autre
...
Angèle Paoli, "La montagne couronnée", La Porte - éditeur -, 2014.
Je n'ai pas eu l'audace de parler de ton Fils
O Tout-Secret,
J'ai entouré le Verbe d'une frontière de silence
Puisque j'ai respecté ta génération
Fais que j'habite en ton Paradis,
Que tout homme qui t'aime
loue ton être secret !
Saint Ephrem de Nisibe
Hymne sur le Paradis, 4, 11.
* Esther Tellermann, extraits d'un entretien, dans la Revue Nu(e) numéro 39, lien ci-après.
Une note sur la maison d'édition La Porte dont les livres si fins sont des bijoux.