II
Terre, dessin, puisque nous sentons dans notre pas qui cherche et qui peine à flanc de coteau la force qui en a rassemblé, en a soulevé les pierres, qui de par l'intérieur les a jetées au bord du visible : si bien que l'on ne peut oublier que leur apparence est un apparaître, leur découpe sur le grand ciel une enveloppe que l'on découvre interrompue de partout, une ligne qui retient mal une profondeur de lumière.
Le médiocre dessinateur imite par petites touches craintives, discontinues, la masse de la montagne, qu'il a dûment regardée, analysée. Le grand dessinateur se tient, lui, en ce point au-delà de la perception -- au centre de ce qui est -- d'où a pris son élan la force qui rassemble et jette au hasard les pierres. Il va, venu du dehors, vers et de par ce fond qu'il fait sourdre et se briser sur des restes de l'apparence comme retombe sur le récif la gerbe d'étincelante, de noire écume.
Montagnes basses et vieilles, usées, plus facilement cette grande occasion pour lui que les cimes jeunes, tout en aiguilles que l'on ne peut s'empêcher, inutilement, de compter.
Yves Bonnefoy,
Extrait page 190 / 191 de
Comme aller loin, dans les pierres, in Remarques sur le dessin
In La vie errante, suivi de Remarques sur le dessin
Poésie / Gallimard, août 1997.